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Libération
Contaminations à l'E.coli

D’ex-salariés de Buitoni témoignent: «Ils ont sacrifié les règles d’hygiène pour produire, produire, produire»

Depuis qu’un lien a été avéré entre la consommation de pizzas Fraîch’Up et les contaminations à l’E.coli de plusieurs dizaines d’enfants, les conditions de production de l’entreprise interrogent. Deux anciens salariés de l’usine de Caudry, dans le Nord, décrivent le «manque d’hygiène».
Des images montrant des conditions d'hygiène déplorables dans l'usine de Caudry, ici vendredi, avaient déjà été diffusées il y a un an. (François Lo Presti/AFP)
publié le 5 avril 2022 à 11h45

«Moi-même, en travaillant là-bas, je ne mangeais pas de pizzas surgelées parce que je n’avais pas confiance», confie anonymement à Libération un ancien salarié de l’usine nordiste de Buitoni. Depuis la confirmation d’un lien établi par les autorités sanitaires entre la consommation de pizzas surgelées fabriquées à Caudry (Nord) et la contamination à la bactérie Escherichia coli (ou E. coli) de plusieurs dizaines d’enfants français, dont deux sont décédés depuis janvier, les conditions d’hygiène à l’intérieur du site de production interrogent.

«Chez Buitoni, vous sortez avec vos chaussures pour aller fumer et vous revenez avec. Les gens ne se lavaient pas les mains. Ils ont sacrifié les règles d’hygiène pour produire, produire, produire… Donc à un moment, ça ne pouvait plus aller, poursuit le même témoin. On devait changer de gants et de tabliers à chaque changement de poste, toutes les trente minutes, et ce n’était pas fait. Il y avait un manque de personnel et un manque d’hygiène… On n’avait le temps de rien.»

Des photos prises à l’intérieur de l’usine, diffusées en mai 2021 par le site Mr Mondialisation et reprises ces derniers jours un peu partout dans la presse choquent. Elles montrent des cuves débordant de pâte, un vers de farine sur une ligne de production nettoyée ou encore de la garniture à base de sauce tomate, fromage ou jambon jonchant les sols.

«Même quand ça va très bien, c’est comme ça»

«Quand j’ai vu les photos, j’ai dit à mon copain : “Regarde, c’est exactement ce dans quoi j’ai travaillé ! C’est exactement ça”», affirme Laura (1). L’ancienne intérimaire parle, elle aussi, d’un rythme de production trop soutenu pour pouvoir respecter à la lettre les règles d’hygiène. Elle évoque des lignes de production «nettoyées à la va-vite». «Quand on reprenait la ligne, on voyait des bouts de gruyère ou de jambon passer alors qu’on était au chorizo, par exemple, continue-t-elle. C’étaient des bouts qui étaient restés coincés dans la machine, sur lesquels les collègues n’avaient pas pris le temps d’insister.»

Jeudi, Pierre-Alexandre Teulié, directeur général de la communication de Nestlé France, a confirmé auprès de l’AFP que ces photos avaient bien été prises dans l’usine de Caudry. En revanche, ce dernier estimait qu’elles ne reflétaient pas l’état habituel, normal et acceptable du site. «Si cela correspond à une réalité», il ne pourrait s’agir que de situations ponctuelles, «après une panne» ou «lors du processus de nettoyage», a-t-il précisé à l’agence de presse. Des photos sorties de leur contexte, estime, sans développer, une source interne contactée par Libération.

«Même quand ça va très bien, c’est comme ça», maintient notre premier témoin. Avant d’évoquer des pizzas en partie décongelées remises sur la ligne de production : «C’étaient des pizzas congelées qui partaient au conditionnement mais qui revenaient parce qu’elles manquaient de garniture. Elles étaient mises sur un chariot mais les gens ne pensaient pas à s’en occuper tout de suite. Et puis, une heure après, quelqu’un se disait : “Tiens, il manque du poulet dessus.” Et après, les pizzas déjà à moitié décongelées repartaient [au conditionnement]. Décongelées, recongelées… Ça ne peut pas aller.»

10 000 contrôles hebdomadaires

L’agence chargée de la communication du groupe a refusé de commenter les images incriminantes et d’entendre les témoignages recueillis par Libération, renvoyant aux déclarations pré-citées de son directeur de la communication. La société a rappelé, en revanche, que l’usine était soumise à 10 000 contrôles hebdomadaires sur ses pizzas, réalisés par des laboratoires agréés. Et que ces vérifications n’avaient jamais mis en évidence de manquements particuliers. Tout comme les deux contrôles surprises réalisés par les autoritaires sanitaires en septembre 2020 et en mars 2021 – soit quelques mois avant la diffusion des images – qui n’ont pas non plus révélé d’écart avec la réglementation, selon le groupe.

Depuis les premières alertes des autorités sanitaires et le rappel préventif des produits par l’entreprise le 18 mars, le site de Caudry ne tourne plus. Après une première série de tests négatifs à la présence de la bactérie dans l’usine selon Nestlé, de nouvelles investigations, en lien avec les autorités sanitaires, tentent de déterminer la source de la contamination.

En parallèle, une enquête a été ouverte pour «homicides involontaires», «tromperie» et «mise en danger d’autrui» afin d’éclairer les conditions de production dans l’usine caudrésienne, après cette vague inédite de contaminations en France. En attendant des réponses, les consommateurs concernés par un achat de la gamme sont invités par l’entreprise et les autorités à détruire leurs produits.

(1) Le prénom a été modifié.