Leur nombre sera toujours trop élevé et leur baisse toujours trop lente. 94 femmes ont été tuées par leur conjoint ou ex en 2023, soit une diminution de 20 % du nombre de féminicides conjugaux après les 118 recensés en 2022, a annoncé le ministre de la Justice au Figaro. «C’est très loin d’être satisfaisant», reconnaît mardi 2 janvier auprès du quotidien Eric Dupond-Moretti. Evoquant le cas de l’Espagne, où une loi-cadre dotée d’1 milliard d’euros sur cinq ans a permis de faire sensiblement baisser les violences conjugales et d’asseoir son rôle de «modèle», le garde des Sceaux commente : «Nous savons que lutter contre ce fléau prend du temps. C’est ce que l’on doit conclure de l’expérience espagnole, qui nous montre qu’il a bien fallu six à sept ans d’un plan d’envergure avant de voir les chiffres baisser drastiquement. Mais l’engagement de la justice française pour endiguer les féminicides porte tout de même ses premiers fruits.»
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Ce recensement, habituellement publié par les services statistiques du ministère de l’Intérieur entre fin août et début septembre, et sa publication hâtive sont contestés par certains décomptes associatifs. Le collectif Féminicides par compagnons ou ex a recensé de son côté 102 féminicides conjugaux dans la presse en 2023. Sur Twitter (renommé X), elles interpellent la chancellerie : «Plusieurs enquêtes pour mort suspecte sont toujours en cours. En attendant les chiffres officiels, M. Eric Dupond-Moretti se permet de supprimer quelques victimes.» Nous toutes – dont le décompte enregistre toutes les femmes «tuées en raison de leur genre» (ce qui inclut des meurtres dans le cadre conjugal, mais aussi familial, amical, professionnel, par des inconnus…) – fait état de 134 féminicides. Plus de 72 % ont eu lieu dans le cadre conjugal, soit 97. La méthodologie de recensement, arrêté au 31 décembre, n’a pas été communiquée par le ministère.
Un appel à aller plus loin
«On peut espérer que notre lutte sera encore plus efficace» avec le déploiement de «téléphones grave danger» et d’une nouvelle génération de «bracelets antirapprochement» 5G, a par ailleurs projeté le ministre. Selon les données communiquées au Figaro, depuis sa mise en place en 2020, 1 850 victimes ont bénéficié de cette protection permettant de géolocaliser une personne à protéger et un auteur de violences conjugales et plus de 1 000 sont actuellement actifs. Depuis le 1er janvier, chacun des 164 tribunaux français et des 36 cours d’appel est également doté d’un pôle spécialisé dans les violences intrafamiliales, placé sous la responsabilité de «magistrats coordonnateurs» spécialement formés. L’enjeu étant de procéder à un partage d’informations plus efficace entre les différents acteurs judiciaires. Un certain nombre de militantes féministes appelaient, de longue date, à aller plus loin en créant des juridictions spécialisées sur le modèle espagnol.
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Selon des données publiées en novembre par le ministère de l’Intérieur, en 2022, 244 300 personnes ont signalé des violences conjugales aux forces de l’ordre, soit une hausse de 15 % par rapport à 2021 et un doublement depuis 2016. Le nombre de condamnations, bien qu’en augmentation de +123 % depuis 2017, reste, lui, ridiculement bas en 2022 avec 22 206 peines prononcées.
«Réponse timide» et «moyens faibles»
Dans un communiqué publié en novembre, la Fondation des femmes, la Fédération nationale solidarité femmes, le Planning familial et le Centre d’information sur les droits des femmes et des familles taclaient une «réponse timide» et des «moyens faibles». Les actrices de terrain insistent sur la nécessité de renforcer la protection immédiate des femmes alors que les places d’hébergement d’urgence manquent toujours et que seulement 3 500 ordonnances de protection sont délivrées chaque année en France.
«En 2017, il fallait en moyenne quarante-deux jours pour qu’un juge aux affaires familiales délivre l’une de ces dernières contre six jours actuellement», se félicite Eric Dupond-Moretti auprès du Figaro. Mesure issue du rapport parlementaire sur le «traitement judiciaire des violences intrafamiliales», une ordonnance de protection immédiate délivrée en vingt-quatre heures dans les situations les plus urgences est en chantier. Une proposition de loi a été déposée le 5 décembre par la députée Renaissance Emilie Chandler, coautrice de ce rapport.