«Bien sûr qu’on a déjà été harcelées. Normal, on est des filles ! Sur la plage, dans la rue… peu importe ce qu’on porte, c’est partout que les gars jouent les forceurs», soupire Dounia, 25 ans, allongée sur sa serviette cet après-midi d’août, plage du Prado, à Marseille. «Quand on est une fille, on est habituée à ne pas être tranquille quand on sort», se résigne son amie Ibtissam, 20 ans. Les deux jeunes Parisiennes en vacances dans la région assurent se faire importuner de façon récurrente sur la plage, des regards insistants aux paroles déplacées… «hier encore», note Dounia. Mais elles avouent ne pas être armées pour réagir, de peur que la violence aille crescendo. «Les hommes auront toujours plus de force que nous», se désole Dounia.
«Plus de 55 % des femmes ne viennent plus seules à la plage par peur d’être harcelées ou agressées. Une sur trois entre 18 et 34 ans l’a déjà été. Ce n’est plus possible. Ça dépasse l’entendement !», s’énerve Nathalie Tessier, conseillère municipale déléguée aux droits des femmes et à la lutte contre les violences faites aux femmes. En ce sens, la ville de Marseille, en partenariat avec des associations féministes locales comme Solidarité femmes 13, le Planning familial, Osez le féminisme ou encore Gams Sud, présentait ce vendredi 5 août, son dispositif Safer Plage, en expérimentation tout le mois sur la plage du Prado, dans le 8e arrondissement, l’une des plus fréquentées de Marseille avec 96 000 visiteurs sur la saison estivale.
L’an prochain le dispositif devrait être étendu à toutes les plages de la ville. Safer plage est une application téléchargeable gratuitement sur smartphone, elle permet à toute personne harcelée ou agressée sexuellement ou à des témoins d’activer un bouton d’urgence. L’alerte est alors donnée au personnel du poste de secours qui géolocalise la victime avant de lui venir en aide. A l’origine, Safer est un dispositif visant à réduire le harcèlement sexiste en milieu festif. Lors du festival Marsatac en juin 2021, 3 200 personnes l’ont téléchargée. Après cinq jours de lancement, la mairie ne sait pas encore quantifier le nombre de téléchargement concernant la plage du Prado.
«On espère vraiment que ça va dissuader les potentiels harceleurs»
Lou et Lisa, deux nageuses sauveteuses se prêtent, ce vendredi après-midi caniculaire, à une démonstration de l’application pour la presse. Quotidiennement sur le terrain, elles sont confrontées à tous les profils, jeunes, vieux, exhibitionnistes… «On espère vraiment que ça va dissuader les potentiels harceleurs», appelle de ses vœux Lisa Fentati, cheffe de poste. Les deux jeunes femmes avouent elles aussi se faire régulièrement importuner par des hommes alors qu’elles sont en surveillance. L’été dernier, sur la plage voisine de l’Escale Borély, une de leur collègue âgée d’à peine 19 ans a été agressée sexuellement par deux hommes montés sur la chaise de vigie, sans que personne sur la plage ne réagisse.
«Depuis le début de la saison, sept interventions ont eu lieu pour des faits de harcèlements et agressions sexuels sur les six plages marseillaises couvertes par la police municipale», explique Jean-Pierre Garnier, responsable du dispositif sécurité des plages et du littoral. «Malheureusement, c’est souvent classé sans suite, car les victimes ne déposent pas plainte», se désole l’agent. Nathalie Tessier, espère quant à elle que Safer Plage mais aussi la présence, deux demi-journées par semaine sur le site, des associations féministes et les panneaux de rappel à la loi — deux à trois ans d’emprisonnement et de 30 000 à 45 000 euros d’amende- permettront «de dissuader et d’éduquer». Daniela Levy, d’Osez le féminisme 13, salue quant à elle, «cette première action». Et de souligner que «communiquer permet de changer le climat dans lequel on évolue. Et lorsqu’on agit au niveau du sexisme, on prévient les violences».
«Ce sont les femmes qui sont agressées et c’est encore à elles de télécharger une application et de donner l’alerte.»
L’appli à peine lancée, certaines baigneuses voient déjà les limites du dispositif. «C’est une bonne idée en soi, mais beaucoup de gens comme nous, par peur du vol, laissent leur portable à la consigne», lance Bénédicte. Même remarque quelques serviettes plus loin, de la part de Christelle, 51 ans et Nadia, 55 ans. Adeptes du monokini, les deux quinquagénaires sont régulièrement harcelées, «par des jeunes hommes mais aussi par des femmes», précise Christelle. «C’est de présence humaine dissuasive dont on a besoin, plus que d’une application !», souligne Nadia. Sonia, 33 ans, s’apprête quant à elle à quitter la plage. En repliant son paréo, elle fulmine : «Ce sont les femmes qui sont agressées et c’est encore à elles de télécharger une application et de donner l’alerte.. C’est dingue ! Mais à quel moment on s’occupe de sensibiliser les hommes ?» La mairie de Marseille n’a prévu à ce jour aucune médiation spécifique à destination des hommes. Ça n’a visiblement pas été réfléchi en amont, mais la déléguée aux droits des femmes assure que «ça peut l’être», par la suite. Pour l’heure, l’élue marseillaise compte naïvement sur l’allant des hommes à venir s’enquérir d’informations auprès des associations féministes durant leurs rares heures de présence sur site, ce mois d’août.