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«Tu fais quoi ?
— J’apprends à vivre sans toi. Toi ?
— Moi aussi.»
Ces textos dramatico-elliptiques sont ceux de Saïd et Maëlle, vingtenaires tentant de survivre au départ de cette dernière en Chine. Mais l’amour a fini par s’éteindre. Puis a rejailli deux ans plus tard lors du retour de Maëlle à Bordeaux au sein de leur bande de potes. Seulement, Saïd vit désormais une belle histoire avec la pétillante Alma. Voilà le point de départ du deuxième volet de la série Amours solitaires, réalisée par Louise Condemi, sur les sites d’Arte et de France Télés. Après les courts formats de la première saison, les huit épisodes de 26 minutes s’épanchent sur une banale histoire d’amour manqué avec une poésie et une finesse féroces.
Codes éthérés de la séduction
Lieux d’augustes emphases où les cœurs se brisent comme ils s’embrasent, les textos sentimentaux constituent la matière première de la série. Toutes les missives émanent du compte Instagram Amours solitaires, créé par l’écrivaine Morgane Ortin, qui publie depuis 2017 les SMS enamourés d’anonymes. «C’est des messages d’une intensité folle, c’était presque dur à lire», raconte la scénariste Marguerite Pellerin, désireuse de maintenir un équilibre entre «comédie romantique et réalisme façon Normal People».
Dans la série, l’amour est protéiforme : naissant pour Elise, contrarié pour Maxine, tétanisant pour Théo. En parallèle des épisodes longs, un format pensé pour les réseaux sociaux, réalisé par Marguerite Pellerin, donne à voir l’histoire de Lewis et Noa, deux éphèbes qu’on adore regarder s’adorer. Comme on adore la mélancolie avec laquelle Maëlle et Saïd relisent leurs échanges d’antan dans la pénombre. Car aimer, nous dit la série, relève aussi de la performance narcissique. Amours solitaires sonde à merveille les récits que l’on se raconte au détriment de la réalité. Mais aussi ce besoin irrépressible de répondre aux codes éthérés de la séduction, cette «mythologie des premiers temps», telle que la nomme l’autrice Emma Becker.
Amours solitaires, réalisée par Louise Condemi et Marguerite Pellerin. Avec Nina Aboutajedyne, Younès Boucif, Mathilde La Musse… 8 x 26 minutes et 20 x 3 minutes. Disponible sur arte.tv et france.tv.slash
Hommes à la merci du choix des femmes
Qu’est-ce qui rend Amours solitaires aussi colorée, fluide et déculpabilisante ? Certainement les personnages féminins qui – fait rare – ne se crêpent aucun chignon pour un homme. Ainsi qu’une héroïne hétérosexuelle qui – fait encore plus rare – a des poils sous les bras. Point d’orgue de cette représentation contemporaine des mœurs et des corps : une scène de sexe sans pénétration. «On a travaillé avec une coordinatrice d’intimité, ça a été une libération dingue pour moi», se réjouit la réalisatrice, Louise Condemi. «L’équipe était majoritairement composée de femmes. C’était un tournage d’amour collectif», ajoute Marguerite Pellerin. Dans Amours solitaires, les hommes sont à la merci du choix des femmes. Elles seules décident de la suite de l’amour. Si ça ne fonctionne pas, ce n’est pas grave. Ça n’empêchera pas de relire les messages d’amour perdu dans la pénombre.