Trois confinements et des couvre-feux en pagaille plus tard, le mirage d’un télétravail émancipateur se dissipe peu à peu. Si la pandémie a bousculé la manière de travailler, le boulot s’est plus que jamais invité à la maison, au sein même des foyers, jusque sous la couette. C’est ce que révèle la deuxième édition du baromètre de l’Institut Ifop sur la «charge mentale professionnelle» des cadres, publiée mardi 22 juin en partenariat avec Mooncard, une entreprise de solution de paiement.
La charge mentale, terme né dans les années 80 pour décrire l’intensification du travail et ses conséquences psychiques, avait fait son grand retour en 2017 dans les BD d’Emma. Dans ses dessins publiés sur le web, l’artiste dénonçait plus précisément la charge mentale ménagère, cette «double journée» subie par les femmes à cause du manque de prise de responsabilité et d’autonomie de leur conjoint.
Mais la charge mentale peut aussi être professionnelle. L’enquête de l’Ifop, réalisée en mai 2021 sur 1 003 cadres, a analysé «comment le travail empoisonne notre vie privée», et propose un «indice de charge mentale» prenant en compte des paramètres comme le niveau de stress ressenti au travail, le fait de penser au travail sur son temps personnel…
«Souvent l’impression qu’elle ne va pas s’en sortir»
Premières touchées : les femmes ayant des enfants à charge. La très large majorité d’entre elles, 85 %, «éprouve des difficultés à concilier» vie personnelle et professionnelle. Près d’une mère interrogée sur deux (44 %) «affirme ainsi avoir “souvent” l’impression “qu’elle ne va pas s’en sortir” dans son travail», contre seulement 31 % des pères. Leur niveau de pression professionnelle ressentie est «significativement plus élevé» que celui de leurs homologues pères de famille (5,2 sur une échelle de 10, contre 4,6 sur 10 pour les pères).
Rien d’étonnant pour Jérôme Ballarin, président de l’Observatoire de la qualité de vie au travail. «Dans les couples d’actifs, en télétravail subi, certaines femmes ont dû encore plus s’investir dans la logistique du quotidien. La double journée s’est transformée en triple journée : davantage de repas et de ménage à faire, étant donné que toute la famille est à la maison toute la journée», explique-t-il à Libération.
Cette charge est d’autant plus élevée dans les familles monoparentales, qui sont dans la très grande majorité des cas des mères célibataires, souvent précaires et qui occupent des métiers de première ligne face à la crise sanitaire (éducation, santé, commerce).
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Les dossiers de la journée restent dans l’air une fois l’ordinateur fermé. Tous âges, sexes et secteurs confondus, plus de neuf cadres sur dix pensent boulot en dehors des horaires de travail, avec certains «signaux d’alarme», selon l’étude. Près de quatre cadres sur dix ont «souvent» des difficultés à dormir. Le stress s’immisce même dans les moments les plus intimes : un cadre sur sept penserait au travail pendant un rapport sexuel, là encore plus les femmes (18 %), que les hommes (14 %).
La corrélation entre charge mentale professionnelle et tensions dans les couples est éloquente : seulement 1 % des cadres ne souffrant quasiment pas de charge mentale déclarent avoir souvent des tensions avec leur conjoint et leurs proches. Pour les cadres dont la charge mentale est très élevée, 69 % d’entre eux observent des accrocs réguliers avec leur entourage.
En plus des nouvelles technologies, qui densifient les journées plus qu’elles ne libèrent du temps, Jérôme Ballarin invite à «réinventer sa journée de travail avec des rituels de récupérations, d’être attentif à la déconnexion, ainsi qu’aux comportements managériaux». Pour les femmes, «il ne faut notamment pas hésiter à aller négocier un peu plus avec leurs conjoints, familles, proches». Une charge mentale de plus.