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Reportage

«Avec la pandémie, l’émancipation des femmes est en danger»

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Après une année de crise sanitaire où les violences et inégalités subies par les femmes ont été renforcées, plusieurs dizaines de milliers de personnes ont défilé à Paris et dans plusieurs villes de France pour la Journée internationale des droits des femmes.
Manifestation féministe à l'occasion de la Journée internationale des droits des femmes à Paris, ce lundi. (Marie Rouge/Libération)
publié le 8 mars 2021 à 20h01

La manifestation du 8 mars avait marqué en 2020 la dernière mobilisation du monde d’avant. Un an après, à l’occasion de la Journée internationale des droits des femmes, à Paris plus de 30 000 personnes ont à nouveau répondu présentes, selon les organisatrices, pour montrer que, plus que jamais, «quand les femmes s’arrêtent, tout s’arrête». Après un week-end de mobilisations, une quarantaine d’organisations ont lancé un appel unitaire à la grève féministe pour «mettre fin aux discriminations et aux violences sexistes et sexuelles», indéniablement renforcées par la pandémie. Avant le début du cortège à Port-Royal, Aïssa, 26 ans lance : «La crise sanitaire a renforcé les inégalités. On a pu constater que les femmes sont majoritaires dans de nombreux secteurs essentiels, pourtant elles ne sont pas assez valorisées, notamment financièrement.» La jeune femme, qui travaille dans les ressources humaines, se désole «qu’il faille une crise sanitaire mondiale pour qu’on s’en rende compte». Derrière elle résonne la nouvelle chanson du collectif des Rosies, Stop patriarcat, dont les tubes sont désormais un incontournable des manifestations. «On se lève, on se casse, on stoppe le patriarcat. On prend le pouvoir et on se bat pour nos droits», crachent les haut-parleurs sur l’air de YMCA.

Dans une ambiance festive, tranchant avec le ras-le-bol exprimé massivement, le collectif des Rosies the Riveter, vêtues du célèbre bleu de travail et du bandana rouge de cette icône de la pop culture, a galvanisé la foule jusqu’au point d’arrivée place de la République vers 16 heures. Infirmières, aides soignantes, caissières, agentes de propreté, assistantes maternelles et autres «premières de corvées» étaient au centre de toutes les préoccupations. Urgentiste de 41 ans et déléguée régionale de l’Association des médecins urgentistes de France (Amuf) pour le grand Est, Emmanuelle rappelle : «Une majorité de femmes travaillent dans les hôpitaux, on peut faire le parallèle avec le fait qu’elles sont sous-payées. Le niveau socio-économique a un impact sur la place des femmes dans la société.» Elle alerte : «La liberté, l’émancipation des femmes est en danger avec la pandémie. Sans parler de l’augmentation des violences.»

«Qui s’occupe de nous ?»

Isabelle, éducatrice spécialisée de 48 ans, fait aussi partie de ces oubliées. «Y en a marre. On accompagne des personnes au quotidien mais qui s’occupe de nous ? On en a aussi besoin pour pouvoir prendre soin dignement des gens», réclame cette syndicaliste de Sud santé sociaux. Derrière une pancarte où il est écrit «Où les ministres apprennent-ils à violer ? #SciencesPorcs», Mathilde, chercheuse de 33 ans, qui participe à sa troisième grève du 8 mars. «Il y a du boulot plus que jamais, les inégalités salariales ne se sont pas réduites. Avec la crise, les femmes étaient aux premières loges, ont pris des risques toute la journée sans avoir de reconnaissance. Ce n’est plus tolérable.» Des femmes sans papiers, largement représentées dans ces professions dévalorisées, sont aussi présentes pour réclamer leur régularisation.

A 15h55, une des Rosies, postée sur un camion, souligne à la foule : «Cela fait un quart d’heure que l’on bosse gratuitement.» Les applaudissements résonnent jusqu’à la place de la République. 15h40 est en effet l’heure théorique à partir de laquelle les femmes cessent d’être rémunérées, si l’on se base sur les écarts de salaires journaliers entre hommes et femmes. D’autres happenings rythment le parcours. L’un d’eux, devant un supermarché du boulevard Sébastopol, rend hommage par une chorégraphie au travail essentiel des caissières. Peu avant le passage devant le palais de justice, la foule crie «Violeur à toi d’avoir peur» ou encore «Darmanin démission» alors que les portraits d’Olivier Duhamel, de PPDA ou du ministre de l’Intérieur sont brandis sous des barreaux fictifs. Les allusions au ministre accusé de viol sont omniprésentes dans le cortège. «Darmanin respecte Sarko mais pas les femmes», dénonce la pancarte de Maya, étudiante en droit de 20 ans, elle-même victime de violences sexuelles. «En tant que victime, sa nomination fait très mal. On ne se sent pas légitime dans ce qu’on ressent. C’est comme si les coupables, ce n’était pas vraiment eux puisqu’ils peuvent avoir une place au gouvernement», témoigne la jeune femme qui a fait la grève des cours. «Dormir ce n’est pas consentir», peut-on lire au verso de son carton.

Drapeau clitoris

Sur la pancarte de Morgane, non loin d’un énorme portrait de Darmanin flottant au-dessus de la foule, on lit : «Fallait pas me violer.» La jeune femme de 32 ans, originaire d’Alsace, explique son geste, «dans la continuité du mouvement #MeToo» : «C’est quelque chose que j’ai attendu pendant des années. Mais je n’aurais jamais osé le faire là où j’habite. La preuve que la parole n’est pas totalement libérée.» Cette intermittente du spectacle relève aussi que «les femmes n’ont pas été oubliées quand on avait besoin d’elles pour coudre des masques et des surblouses». Un effort collectif auquel elle a participé sans reconnaissance ni rémunération.

Au milieu de cette marée humaine, un drapeau clitoris flotte au vent, frappé du mot d’ordre «mon corps, mon choix». Marine, enseignante de français de 28 ans appelle «celles qui le souhaitent à envoyer des photos de nu». Une référence au tweet posté par la police nationale samedi, culpabilisant les victimes de revenge porn de l’avoir fait. «Je veux dénoncer la culture du viol encore extrêmement présente. Porter une jupe justifierait de se faire violer, et de la même manière, ce serait de notre faute si on envoie une photo de nous et qu’elle est diffusée publiquement», s’indigne Marine. Dans plusieurs grandes villes de France, des rassemblements ont aussi eu lieu pour dénoncer la persistance des inégalités subies par les femmes, que la crise sanitaire et les restrictions de circulation ont encore renforcées. Un rappel de la vigilance encore de mise dans les mois compliqués qui s’annoncent.