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Victoire

«Céder ne sera plus jamais consentir» : l’Assemblée nationale adopte l’inscription du consentement dans la définition du viol et de l’agression sexuelle

La chambre basse a adopté à une large majorité, ce jeudi 23 octobre, la proposition de loi, issue d’un compromis avec les sénateurs. Seuls les députés d’extrême droite se sont opposés à cette avancée législative.

Lors de la marche de #NousToutes, entre la place de la République et la place de la Nation, à Paris, le 20 novembre 2021. (Cha Gonzalez/Libération)
Publié le 23/10/2025 à 14h30

Et c’est ainsi que l’Assemblée nationale a intégré le non-consentement à la définition pénale du viol. «Nous souhaitons que les victimes puissent reprendre confiance en la justice et que cette loi embarque la société toute entière vers la culture du consentement», a introduit ce jeudi 23 octobre la corapporteure du texte, la députée écologiste Marie-Charlotte Garin, avec l’espoir que cette proposition de loi transpartisane introduisant la notion de consentement aux définitions du viol et de l’agression sexuelle, adoptée à une large majorité (155 voix pour, 31 contre), soit l’instrument d’un réel changement de paradigme dans notre société. «Huit victimes sur dix ne portent pas plainte, faisant du viol “le crime le plus sous-déclaré en France”», a complété la corapporteure Ensemble pour la République Véronique Riotton, également présidente de la délégation aux droits des femmes. Et celui le plus impuni avec seulement 1 % de condamnations.

Ce vote est l’aboutissement d’un travail collectif entamé en 2023, poussé depuis des années par une grande partie des militantes féministes, nourri de l’avis favorable du Conseil d’Etat ayant permis d’affiner l’écriture proposée et dynamisé par le procès des viols de Mazan ayant donné à voir, grâce à Gisèle Pelicot, la réalité crue de la banalité du viol. Au sortir d’une commission mixte paritaire ayant permis, mardi, d’accorder les deux chambres sur leur léger point de discorde, son adoption était d’ores et déjà acquise.

«C’est déjà une révolution»

Le viol et l’agression sexuelle seront désormais définis comme «tout acte sexuel non consenti». Sans bouleverser ou fragiliser le droit existant, ce texte vient le compléter, ajoutant que «le consentement est libre et éclairé, spécifique, préalable et révocable» et «ne peut être déduit du seul silence ou de la seule absence de réaction de la victime». Reprenant les quatre critères déjà présents dans notre code pénal, il sera aussi indiqué : «Il n’y a pas de consentement si l’acte à caractère sexuel est commis avec violence, contrainte, menace ou surprise, quelle que soit leur nature.» Ayant porté cette fois-ci seule la voix du gouvernement, la ministre déléguée à l’Egalité, Aurore Bergé, a appuyé : «Ce qui compte ce n’est pas ce que l’agresseur croit, c’est ce que la victime veut. Et cela, ce renversement de regard, cette reconnaissance, cette exigence, c’est déjà une révolution.»

Ce consentement sera apprécié au regard des «circonstances», un compromis trouvé en CMP entre les «circonstances environnantes» souhaitées par les députés et le «contexte» voté par le Sénat. Insistant sur la façon éducative, expressive de la loi, Marie-Charlotte Garin a rappelé : «Nous clarifions la loi pour que son silence [de la victime] cesse d’être instrumentalisé par les auteurs, quand c’est non, c’est non ; quand ça n’est pas non, ça ne veut pas dire que c’est oui et il vaut mieux vérifier. Quand c’est oui, ça doit être un vrai oui, un oui qui n’a pas peur, un oui libre et céder ne sera plus jamais consentir.»

«Fierté»

En écho à certaines militantes féministes et juristes, quelques réserves ont tout de même été exprimées par Erwan Balanant (Modem), évoquant une notion «complexe», un risque que la procédure judiciaire ne se focalise encore davantage sur «le comportement de la victime» et même qu’il soit «plus compliqué» de démontrer la preuve du viol. Différents points sur lesquels le Conseil d’Etat s’était montré rassurant. Si ses inquiétudes ne l’ont pas empêché de saluer une «avancée», les dissensions féministes ont surtout été bassement instrumentalisées par l’extrême droite. Comme lors de la commission mixte paritaire, le RN et les ciottistes de l’UDR ont été les seuls à s’opposer à cette nouvelle définition du viol. «Dérive morale et juridique sans précédent», «boîte de Pandore»… Sophie Blanc (RN) n’a pas hésité à s’enfoncer dans la caricature, plaçant une fois encore son groupe politique à rebours des avancées pour les droits des femmes : «Combien de verres de vin suffisent à rendre un consentement non éclairé ? Faudra-t-il désormais enregistrer les préalables à chaque acte sexuel et l’acte sexuel lui-même pour se préconstituer une preuve audio, vidéo, une attestation signée ?»

«Malgré ce qu’a raconté le RN, ça n’est absolument pas un texte d’émotion, c’est un texte tellement travaillé techniquement. C’est l’aboutissement de deux ans de travail orientés sur la parole des victimes pour outiller davantage la chaîne pénale», réagit Véronique Riotton auprès de Libération, évoquant sa «fierté». Le signe d’un «espoir dans la capacité du pouvoir parlementaire à faire changer la loi pour le meilleur et pour l’intérêt général», abonde Marie-Charlotte Garin.

Aucune naïveté en revanche chez les corapporteures et parlementaires ayant prononcé des discours forts au pupitre : cette loi ne suffira pas à enrayer la domination patriarcale et les violences massives qui en découlent. «Nous avons besoin urgemment de cette grande loi promise, dont le travail pourtant lancé a été suspendu par l’instabilité politique permanente créée et entretenue par Emmanuel Macron dans un plus grand cynisme», a raillé la députée écolo Sandra Regol. Face à l’Assemblée, Aurore Bergé avait promis quelques minutes plus tôt son engagement pour l’adoption d’une loi-cadre contre les violences sexuelles et intrafamiliales. «Tous les groupes de l’Assemblée nationale et du Sénat sont autour de la table, le consensus est souhaitable et est possible.» De quoi ouvrir un nouvel espoir, celui de cesser la politique des petits pas, où les victoires s’arrachent difficilement une loi après l’autre.