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Droits des femmes

Constitutionnalisation de l’IVG : «la liberté garantie» des femmes à recourir à l’avortement débattue le 24 janvier à l’Assemblée

Le projet de loi constitutionnelle pour inscrire ce droit fondamental des femmes à disposer de leur corps a été présenté mardi 12 décembre matin en Conseil des ministres. La formulation et le calendrier retenus ont déjà fuité.
Lors d'un rassemblement à l'appel d'organisations féministes et LGBTI, place de la République, en solidarité avec les mobilisations aux États-Unis qui luttent contre l'abrogation de l'avortement légal, le 26 juin 2022 à Paris. (Stéphane Lagoutte/Myop pour Libération)
publié le 12 décembre 2023 à 11h45
(mis à jour le 13 décembre 2023 à 10h49)

Chaque mot a une importance capitale. Le voile a été levé, mardi 12 décembre, sur la formulation retenue par le gouvernement pour inscrire l’IVG dans la Constitution. La version finale du texte, présenté mardi matin en Conseil des ministres, sera rédigée comme suit selon le document communiqué par le ministère de la Justice à l’AFP : «La loi détermine les conditions dans lesquelles s’exerce la liberté garantie à la femme d’avoir recours à une interruption volontaire de grossesse.»

Sans rentrer dans ces détails, le porte-parole du gouvernement Olivier Véran a assuré en sortie de conseil des ministres : «Cette égalité entre les femmes et les hommes passe aussi par l’affirmation absolue du droit des femmes à disposer de leurs corps et à recourir à l’interruption volontaire de grossesse. Cette liberté était jusqu’ici garantie par la loi, elle sera demain un droit fondamental inscrit dans le marbre de notre Constitution, c’est en ce sens qu’un projet de loi constitutionnel a été présenté par la Première ministre.»

Sous réserve de son dépôt, le texte sera débattu le mercredi 24 janvier d’abord dans l’hémicycle de l’Assemblée nationale, a indiqué une source parlementaire à l’AFP en s’appuyant sur l’ordre du jour de la conférence des présidents, qui réunit les principaux chefs de file de la chambre basse. Un long chemin reste encore à parcourir. Fruit de la mobilisation des féministes, ce projet de loi constitutionnel devra être voté dans les mêmes termes à l’Assemblée et au Sénat, puis trouver une majorité des trois cinquièmes des parlementaires réunis en Congrès à Versailles. «L’idée, c’est que le Congrès soit convoqué le 5 mars prochain, le président de la République nous l’a dit hier en Conseil des ministres», a précisé la ministre des Solidarités et des Familles Aurore Bergé à Sud Radio ce mercredi, alors que la date du 4 mars avait dans un premier temps été avancée.

Une formulation très «en même temps»

La formulation retenue par le gouvernement traduit la tactique macroniste du «en même temps». Sans reprendre celle adoptée à l’Assemblée nationale et portée par LFI jugée plus protectrice par les associations et certains juristes - à savoir «la loi garantit l’effectivité et l’égal accès au droit à l’interruption volontaire de grossesse» - ce texte améliore celle du Sénat. «La loi détermine les conditions dans lesquelles s’exerce la liberté de la femme de mettre fin à sa grossesse», avait adopté la Chambre haute début février, connue pour ses positions conservatrices. La Commission nationale consultative des droits de l’homme soulignait, dans un avis révélé par Libération, que ce texte n’«apport [ait] rien par rapport à la situation actuelle».

Le gouvernement a retenu la «liberté» du Sénat au «droit» de l’Assemblée, en lui ajoutant toutefois une «garantie» plus sécurisante. «Préciser que cette liberté est «garantie» apporte quand même une protection. Cette synthèse de la position adoptée par chacune des deux chambres est un compromis politique», analyse Diane Roman, professeure de droit à l’université Paris I. Insistant sur la nécessité d’assurer les moyens matériels de recours à l’IVG, Suzy Rojtman, porte-parole du collectif Avortement en Europe reste prudente : «Ce qui n’est pas garanti, ce sont les conditions dans lesquelles se déroule l’avortement. Si l’extrême droite accède au pouvoir, ils pourraient rajouter des entretiens préalables, couper le remboursement, empêcher les mineures d’avorter sans autorisation parentale.»

«Faire avancer le droit à l’avortement implique toujours des compromis en France»

Comme pour la liberté d’expression ou la liberté religieuse, celle d’avoir recours à un avortement sera soumise aux arbitrages et interprétations du Conseil constitutionnel. «Comme actuellement, rien ne garantira une obligation de prise en charge ou de création des centres d’orthogénie, mais on aura une base constitutionnelle pour dire qu’une éventuelle loi régressive contrevient à la Constitution, qu’en 2023-24 le constituant a expressément reconnue une «liberté garantie» donc il n’est pas possible d’y porter atteinte», projette Diane Roman.

Ce projet de loi reste une «avancée» pour Sarah Durocher, présidente du Planning familial. «On est à quelques mois de pouvoir inscrire l’IVG dans la Constitution. Ce n’est pas la formulation qu’on voulait avec le mot «liberté» et le mot «femme» (excluant les hommes trans, ndlr) mais faire avancer le droit à l’avortement implique toujours des compromis en France», embraye-t-elle, en voyant dans ce chemin législatif une manière de «faire perdre les anti-choix, d’envoyer un signal aux féministes européennes dans un contexte où l’extrême droite et la droite conservatrice arrivent au pouvoir».

Si le renversement de l’arrêt Roe v. Wade qui sécurisait le droit à l’avortement aux Etats-Unis a produit l’étincelle et mené au dépôt de six propositions de loi constitutionnelles depuis juin 2022, cette volonté de verrouiller dans le marbre de la Constitution le droit des femmes à disposer de leur corps en France était bien antérieure. Par au moins trois fois, les groupes de gauche avaient, entre 2017 et 2019, porté ce combat en s’y cassant les dents. Partie en éclaireuse au Sénat le 19 octobre, avec un texte transpartisan similaire à celui de Mathilde Panot, la sénatrice écolo Mélanie Vogel n’avait pas connu de meilleure issue.

Réclamé par les parlementaires afin d’éviter un référendum qui pourrait faire émerger encore davantage les discours anti choix, ce projet de loi avait été annoncé le 8 mars par Emmanuel Macron lors de l’hommage national à l’avocate Gisèle Halimi. Vivement critiqué pour avoir tardé à passer aux actes, le président n’avait fixé un horizon de présentation de ce projet de loi que fin octobre. Un signe pour beaucoup de la frilosité assumée du chef de l’Etat sur ce sujet.

Mis à jour : le 13 décembre à 10 h 45 avec une nouvelle date de convocation du Congrès.