Elles ont marqué la cérémonie. Emergeant de la Seine, parées d’or, au son d’une Marseillaise entonnée du haut du Grand Palais par la mezzo-soprano Axelle Saint-Cirel, les dix statues féministes de la cérémonie d’ouverture orchestrée par Thomas Jolly, vendredi 26 juillet, ont été léguées à la Ville de Paris. Interrogée sur France Bleu Paris dès lundi 29 juillet, Anne Hidalgo les a citées parmi les «trois symboles» des JO qu’elle voudrait garder, avec les anneaux olympiques sur la Tour Eiffel et la vasque.
Les statues «auraient toute leur place dans Paris» et un espace «dans le XVIIIe arrondissement» pourrait être envisagé, a projeté la maire, tout en précisant qu’elle «n’est pas seule à décider». Hélène Bidard, adjointe PCF à la mairie de Paris en charge de l’égalité femmes-hommes abonde auprès de Libération : «Ces statues, qui représentent des héroïnes de l’histoire de France, doivent pouvoir trouver une place dans Paris. Elles font partie de ce que l’on appelle le matrimoine. Au même titre que les noms de rues, on a un déficit historique de visibilisation des femmes dans l’espace public parisien. Il faut évidemment garder ces statues.»
Invisibilisation criante des femmes
Ces dix représentations ont mis à l’honneur des femmes d’engagement, militantes, féministes, dont l’héritage a été, pour nombre d’entre elles, longtemps écrasé sous le poids d’un récit national fantasmé comme presque exclusivement masculin : la femme de lettres et révolutionnaire Olympe de Gouges, l’écrivaine pionnière de la négritude Paulette Nardal, l’avocate Gisèle Halimi, la militante pour l’inclusion des femmes dans le sport Alice Milliat, la communarde et anarchiste Louise Michel, la cinéaste pionnière Alice Guy, la philosophe et poétesse Christine de Pizan, l’exploratrice Jeanne Barret, la philosophe Simone de Beauvoir, ainsi que la femme politique Simone Veil.
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Si chacune d’elles est présente, de façon plus ou moins discrète, dans les rues de Paris – Alice Milliat a un gymnase à son nom, les sœurs Jane et Paulette Nardal une promenade, Alice Guy une place… – l’invisibilisation criante des femmes n’en reste pas moins réelle : en 2024, seules 15 % des rues, espaces verts et équipements parisiens portaient le nom d’une femme (contre 6 % en 2001). Pas mieux du côté des statues, avec une quarantaine de sculptures féminines pour 260 masculines. Parmi elles, vingt sont érigées dans le Jardin du Luxembourg, majoritairement des reines. Malgré quelques efforts récents, comme l’installation, dans le XVIIe arrondissement en 2022, d’une statue rendant hommage à Solitude, une figure majeure de la lutte contre l’esclavage en Guadeloupe, le patrimoine statuaire reste essentiellement masculin.
«En attente d’une expertise»
Si le principe de garder les créations de la cérémonie d’ouverture est acté par la Ville, reste à savoir comment et où. Alors que les JO battent leur plein, mobilisant les équipes municipales, la réflexion n’en est pour l’instant qu’à son amorce. «On est en attente d’avoir une expertise sur ce que sont réellement ces statues pour pouvoir décider de la manière de les intégrer au mieux à Paris. Il est probable que ce ne soit peut-être pas des éléments que nous puissions mettre dans l’espace public par tous temps», prévient Laurence Patrice, adjointe PCF à la mémoire.
Contacté par Libération, le Comité d’organisation des Jeux olympiques indique que les figures dorées ont été réalisées par impression 3D en résine polymère, durcie avec de la fibre de verre et de la résine de protection. Pas forcément adapté à une installation en extérieur, selon Laurence Patrice. «J’ai participé à un jury où un artiste proposait une réalisation en résine, amenée à être placée dans l’espace public dans le cadre du travail mémoriel. Les spécialistes présents ont estimé que d’ici quelques semaines ou mois, elle serait dans un état pitoyable. Ce projet n’avait pas pu être accepté pour cette raison», alerte-t-elle.
«Bel héritage»
Si quelques voix s’élèvent déjà pour réclamer de reproduire les œuvres dans des matériaux plus durables, l’adjointe pondère : «Il y a une question de budget dans tout ça.» Bien avant l’ouverture des JO, un vote du conseil du XVIIIe arrondissement, en juin 2023, avait permis d’acter l’installation d’une statue de Louise Michel face à la basilique du Sacré-Cœur, d’ici la fin d’année 2025. Sa représentation olympique pourrait d’ailleurs servir d’inspiration à sa création, envisage l’adjointe.
En raison de ces contraintes, l’avenir des dix statues pourrait bien se jouer en intérieur, par exemple «au sein des collections de musées» ou autres «lieux artistiques», la boussole devant rester, selon la mairie, que ce «bel héritage» bénéficie «au plus grand monde». Reste aussi à trancher un enjeu essentiel : seront-elles désolidarisées et réparties dans la capitale ou resteront-elles unies, gardant ainsi l’esprit sororal de la cérémonie d’ouverture ?