Dans un espace intimiste aménagé comme une chambre, à l’étage du Pavillon des canaux – un tiers-lieu situé dans le XIXe arrondissement de Paris –, des chaises en plastique et des fauteuils en cuir sont positionnés en rond. Sur la porte, une affiche : «Cercles d’écoute et ateliers féministes pour hommes.» Ce mercredi de novembre, Candice Gacon et Victoria Rastello, deux membres du collectif féministe Nous sommes, ont donné rendez-vous à huit hommes inscrits en ligne. A 19 heures passées, deux manquent à l’appel. «Les désistements au dernier moment arrivent souvent, à cause, peut-être, de la peur de se confier», avance Victoria Rastello. Ils seront six, pendant près de deux heures, à échanger et à questionner la masculinité à partir de leurs propres expériences.
«Ce cercle d’écoute s’inscrit dans une dimension militante et politique, pas thérapeutique, cadre d’emblée Candice Gacon. L’enjeu principal est d’être capable de se remettre en question.» Elle énonce ensuite les règles à suivre : être bienveillant, essayer d’utiliser au maximum le «je», ne pas s’interrompre et être vigilant à la répartition de la parole. Trois hommes prennent des notes. C’est maintenant à Victoria Rastello de rappeler le thème de ce soir : la culture de la violence – physique, psychologique ou sexuelle. Un sujet qui l’a «beaucoup animée, notamment avec les élections américaines et le procès des viols de Mazan».
«Eviter l’écueil du boys’ club»
Puis vient le tour de table. Chaque présentation est conclue par un «merci» collectif. Les participants ont entre vingt-cinq et quarante-cinq ans. Tous sont diplômés de l’enseignement supérieur et votent à gauche. La très grande majorité d’entre eux ont déjà participé à des activités militantes ou associatives. Le groupe de parole n’échappe pas aux biais sociaux : ici, on parle entre déjà convaincus. Il y a Manu (1) et Alessandro (1), habitués à ces cercles d’écoute, et les quatre autres pour qui c’est une première. Julien (1) et Mayeul les ont découverts grâce à une amie. Marc, via sa femme, «très militante». De son côté, Thomas (1) reconnaît s’être inscrit pour «mieux comprendre les comportements violents qu’[’il a] pu avoir, en particulier envers les femmes». Pour une première prise de parole, le propos reste vague.
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Créée en juin 2021 par la militante Noëlla Bugni-Dubois, également à l’initiative du compte Instagram «Nos alliés les hommes», qui propose du contenu éducatif sur le féminisme, l’association Nous sommes organise ces groupes de parole conjugués au masculin, en France, en Suisse et en Belgique. «Notre collectif considère qu’il est important que nous, féministes, soyons accompagnées d’hommes qui interrogent leurs privilèges et passent à l’action, histoire de nous sentir moins seules dans nos luttes», explique Victoria Rastello. Pour les membres de l’association, le lien entre femmes et hommes ne doit pas être rompu. «La présence de médiatrices, comme Victoria et moi, dans les cercles d’écoute permet d’apporter le regard de personnes sexisées [confrontées aux discriminations de genre, ndlr] et d’éviter l’écueil du boys’ club», soit la reproduction d’un schéma patriarcal de solidarité masculine construit sans voire contre les femmes, souligne Candice Gacon.
«Plein de types de colère chez les hommes sont questionnables»
Manu, docteur en physique, cheveux mi-longs et barbe soignée, dit avoir «lu pas mal de bouquins théoriques féministes», mais aussi réalisé qu’il avait encore beaucoup de biais genrés. Il confesse notamment avoir déjà eu recours à du chantage affectif, à cause du «sentiment d’être écrasé» dans ses précédentes relations. «Est-ce que tu as pu identifier d’où venait ce sentiment ?» demande Alessandro. «Je n’ai ni appris à me rebeller ni à me protéger, ce qui fait que je n’arrive pas à exprimer ma colère autrement que par une certaine violence envers mes proches», répond Manu, qui aimerait travailler sur ses émotions avec un psychologue.
Candice Gacon y voit, elle, le symptôme d’un problème plus systémique. «J’ai tendance à penser qu’il y a plein de types de colère chez les hommes qui sont questionnables, notamment dans leurs rapports avec les femmes quand ils ont l’impression d’être dominés», commente-t-elle, avant de partager un souvenir avec l’assemblée. «Une fois, j’ai dit à mon ex-petit ami que je n’avais pas envie de coucher avec lui, j’ai senti sa frustration dans toute la pièce, s’indigne-t-elle. Il a dû aller dans la cuisine pour combattre ce sentiment en lui.» Manu réagit dans la foulée : «C’est dramatique mais j’ai grandi avec l’idée que si une femme était amoureuse et prenait régulièrement du plaisir dans sa sexualité avec un homme, il n’y avait aucune raison qu’elle dise non.» Thomas, qui se balance d’avant en arrière sur sa chaise, acquiesce, penaud. «Avant MeToo, je n’arrivais pas à entendre un “non” clair», regrette celui qui travaille dans le droit, sans pour autant reconnaître ouvertement avoir déjà pu commettre des violences sexuelles.
Le procès des viols de Mazan, «ça m’a questionné sur mon rapport aux femmes»
Les minutes passent, Mayeul évoque la difficulté de s’épancher de manière sérieuse sur des sujets intimes dans des groupes d’amis masculins, Alessandro et Julien insistent, eux, sur les bienfaits des consultations chez un psychologue pour mieux gérer ses émotions… Puis revient, comme un boomerang, l’actualité et le procès des viols de Mazan, où Dominique Pelicot et 50 autres hommes recrutés sur internet sont accusés d’avoir violé son ex-femme, Gisèle, sédatée pour être abusée. «Ça m’a questionné sur mon rapport aux femmes», confie Marc, en couple libre, qui a multiplié les discussions avec son épouse sur ce sujet. «Combien de fois une meuf m’a dit “non” et j’ai été en mode “t’es sûre ?” tout en essayant de la charmer ?» poursuit-il, avant de conclure : «A mon avis, il y aura un avant et un après le procès.» Pour Manu, «dégoûté», «il faut donner un écho énorme à cette affaire». Thomas abonde : «Je ressens désormais le besoin de me désolidariser des comportements d’hommes que je trouve problématiques, notamment dans des discussions avec mes potes.»
Il est plus de 21 heures. Les participants se quittent. Avant de partir, Victoria Rastello leur distribue un document avec des recommandations de livres et de podcasts féministes. Comme pour leur faire passer le message que leur participation ne donne pas droit à un brevet de féminisme et qu’être un bon allié est un processus, jamais un but définitivement atteint.
(1) Le prénom a été changé.