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Libération
50 ans, 50 combats

De la pilule au préservatif, «Libé» aux avant-postes de la contraception

Libération a 50 ansdossier
Créé après la loi Neuwirth, le journal n’a jamais lâché le sujet, poussant notamment sans relâche la question de la contraception masculine.
La une de «Libé» du 23 août 2022.
publié le 3 novembre 2023 à 3h02

Une présence constante, une vision pionnière, quelques éloignements parfois, mais un lien étroit traversant les années… Raconter la contraception dans Libération, c’est comme retracer une vieille amitié. Le ton est donné dès le 13 novembre 1975, avec ce titre qui entend ouvrir la voie : «La pilule et les hommes». La loi Neuwirth légalisant la contraception et autorisant la pilule a été adoptée il y a huit ans à peine, mais il s’agit de rappeler que «les femmes ont servi de cobayes pour les hommes». Et d’esquisser, déjà, «une nouvelle façon de partager les responsabilités tant physiques qu’affectives». Le vocabulaire colle à son époque mais en fait, on cause déjà charge contraceptive. «Le sujet de la contraception masculine a été très suivi, ça fait partie de l’ADN féministe de Libé. Chaque fois qu’il y a eu un test, une avancée, le journal était au rendez-vous», insiste Catherine Mallaval, entrée au quotidien en 1989, ancienne cheffe des services Vous et Société : courrier de lecteurs menant à la création de l’Ardecom (Association pour la recherche et le développement de la contraception masculine) au printemps 1977, tribune sur la vasectomie quelques mois plus tard, une sur une expérimentation de la «pilule pour hommes» en janvier 1980… Cette ligne directrice mènera jusqu’à la publication d’un appel de personnalités masculines signé par plus de 30 000 personnes, en août 2022. «Ça a toujours été une question : pourquoi les hommes ne s’emparent pas du sujet? Mais rien n’a avancé. Il n’y a pas réellement de contraception masculine autre que la stérilisation ou la capote», regrette Annette Lévy-Willard, embauchée au journal après un vote à mains levées en 1976 et plume historique des sujets sur les droits des femmes.

Alors que l’épidémie de sida sévit au milieu des années 80, le journal fait sa une, le 25 juillet 1986, sur «le retour d’affection pour le préservatif». Mais même inscrit très tôt dans l’identité de Libération, le sujet de la contraception masculine n’échappe pas pour autant à un certain scepticisme. «Je me souviens qu’on avait beaucoup de mal à faire en sorte que ces articles ne soient pas pris à la rigolade», note Marie-Joëlle Gros, qui a débuté au journal en 1994 à la toute nouvelle rubrique Vous. Près de trente ans plus tard, ces réticences amusées s’expriment parfois encore autour de la table du comité.

La création des pages Vous marque un virage : «La contraception a pu avoir une place importante dans le journal car cette rubrique a été créée. On était d’emblée dans un traitement éditorial plus proche du témoignage», note Marie-Joëlle Gros, égrenant ses souvenirs d’articles sur la contraception définitive ou sur l’accès à la pilule du lendemain. Si l’avortement décroche dès les premiers numéros en 1973 la une du journal, la contraception – sujet consensuel dans la rédaction mais considéré comme moins politique – peine davantage à s’y hisser. «Ce n’était pas la priorité éditoriale. Il y avait le sentiment que c’était un combat d’hier», souffle Eric Favereau, journaliste santé arrivé en 1981 à Libération. Il ajoute : «Quand le Planning familial a été à la peine, notamment à la fin des années 80, les militantes avaient un regard un peu agacé sur Libé qui n’en faisait pas assez selon elles. A juste titre.»

Un plafond de verre constaté également par Marie-Joëlle Gros avant son départ en 2015 : «Ces sujets avaient le mérite d’exister parce qu’on se battait pour les proposer, mais ils restaient souvent en pages intérieures.» Exceptions faites des politiques publiques. Ainsi, le 30 novembre 1999, le journal n’hésite pas à monter en une sur «la pilule de l’urgence», désormais délivrée dans les établissements scolaires, ou à se faire le porte-voix, le 12 janvier 2000, de la grande campagne du ministère de la Santé. Libération titre alors sur cette «nouvelle vague» qui s’amorce.

Ecrire sur la contraception, c’est justement jauger ces flux et reflux, prendre le pouls d’une société mouvante. Le tout-pilule a vécu, le début des années 2010 et la crise des contraceptifs oraux de troisième et quatrième générations finissent de marquer le tournant. «Combat pour la gratuité pour tous, pour que les parents ne s’en mêlent pas, pour la pilule du lendemain… la pilule a eu une place gigantesque dans la société et nos pages jusqu’au moment où ont émergé les premières réflexions sur l’inoffensivité ou non de ce qu’on se met dans le corps», relate Catherine Mallaval, marquée par un article où elle a fait se confronter le discours de jeunes femmes rejetant d’un bloc chimie et charge contraceptive à celui de femmes plus âgées dont la vie a été transfigurée par l’arrivée de ces comprimés. Les violons s’accordent toutefois le 26 novembre 2013 pour saluer la mort de Lucien Neuwirth, gaulliste féministe ayant porté la légalisation. Celui qui donna le choix et qui, comme le titrait le journal, «fit passer la pilule».