Une double violence. Sur près de 500 femmes hébergées dans les hôtels par le Samu social, 4 % d’entre elles, soit une vingtaine, rapportaient avoir subi des violences de la part des hôteliers ou des résidents. Une enquête du Bondy Blog publiée lundi vient corroborer cette étude menée par le Centre de recherche de l’institut de démographie de l’université Paris-I et l’Observatoire du Samu social de Paris entre 2017 et 2018.
«Tu me donnes, je te donne»
Orientée dans un hôtel parisien par le 115 en 2017, Myriam témoigne du harcèlement sexuel subi lorsqu’elle a demandé à changer de chambre, la sienne étant infestée de rats. «Il disait : “Si tu veux changer de chambre, tu sais ce qu’il faut faire : tu me donnes, je te donne.” Je n’avais qu’une envie, c’était de partir.» Sur le conseil de son assistant social, elle dépose une main courante. Simon Le Cœur, également secrétaire général de la CGT du Centre d’action sociale de la ville de Paris, rapporte au Bondy Blog avoir «plusieurs fois [eu] affaire à des cas de harcèlement sexiste et sexuel. Ce sont des choses qu’on retrouve assez souvent lors des prises en charge hôtelières. C’est le patriarcat dans toute sa splendeur : des hommes qui ont l’ascendant sur des femmes sans papiers et sans ressources».
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En 2020, une autre famille victime de cet hôtelier dépose une nouvelle main courante, pas de quoi inciter le Samu social à convoquer cet homme en plein confinement. L’organisation aurait mis en place «une veille accrue sur l’établissement» et aucun autre signalement n’aurait été recueilli depuis. D’autres voisines de chambres avaient pourtant confié à Myriam avoir été elles aussi victimes de cet hôtelier. Silvana y a passé cinq ans, le gérant est allé jusqu’à entrer dans son lit. Une autre résidente, la vingtaine, l’a vu débarquer dans sa douche. «Elle a crié et a prévenu le 115. Le soir même, elle a été changée d’hôtel.» En situation de grande vulnérabilité, souvent sans papiers, aucune d’entre elles n’a porté plainte. «Le problème, c’est qu’on n’a pas de maris, pas de papiers. On est vulnérables. Lui, il a de l’argent, et nous, on n’a rien. Lui, il est français, et nous, on n’est rien», déplore Myriam, qui a quitté la Tunisie en 2016 pour «fuir [s]on mari».
A Aulnay-sous-Bois, Lisa, qui a passé plus de quatre ans dans divers hôtels franciliens jusqu’en 2011, a été plusieurs fois victime de violences sexuelles. «J’ai refusé plusieurs fois de coucher avec lui. Un jour, il m’a dit qu’il avait un meilleur hôtel et qu’il allait m’y emmener. Au lieu de ça, il a pris sa voiture et m’a conduit dans un hôtel miteux. Il m’a clairement piégée parce que je l’avais repoussé», rapporte-t-elle au Bondy Blog. L’enquête de 2017 montrait, elle, que certains hôtels servaient de lieux de prostitution et que des mineures sont aussi la cible de ce «système de prédation».
«Dilemme»
Le recours massif aux hôtels comme solution d’hébergement d’urgence est dénoncé par Simon Le Cœur : «On finance des marchands de sommeil doublés de harceleurs avec de l’argent public ! Pour faire vivre des familles dans 12 m²… C’est l’enfer !» Un certain nombre de femmes hébergées par le Samu social sont notamment victimes de violences conjugales. En 2020, le Haut conseil à l’égalité (HCE) estimait les besoins à environ 20 000 places d’hébergement spécialisées, non mixtes et sécurisées. 10 144 étaient dénombrées fin 2022, sans que ces dernières ne remplissent toutes ces critères. «Faute de places dans des centres spécialisés, trop de victimes sont hébergées dans des chambres d’hôtel, qui ne sont pas adaptées et présentent des risques de “revictimation”. Des associations relèvent que certains hôtels sont des lieux de “recrutement” pour des réseaux de prostitution, en particulier pour les jeunes femmes», dénonçait déjà en 2020 le HCE.
Face à cette crise globale de l’hébergement d’urgence, le 115 se retrouve face à un «dilemme» : «Continuer d’héberger des femmes dans ces hôtels au risque qu’elles subissent des violences ou les laisser dans la rue», résume le Bondy Blog. La sociologue Armelle Andro, qui a mené l’enquête de 2017, va même plus loin. «S’ils se mettent à fermer l’hôtel au premier signalement, ils vont se retrouver à perdre plus de la moitié de leurs hôtels. Donc, ils se contentent de dire que des travailleurs sociaux passent vérifier sur place. Mais les hôteliers font le ménage avant…» Son audition en 2019 à l’Assemblée nationale n’a mené à aucun changement. Pour elle, «il y a toujours cette idée que c’est déjà bien qu’elles aient un toit».