Après les IA qui déshabillent les femmes, voilà maintenant celle qui les rhabille. Depuis plusieurs jours, des internautes modifient les photos de femmes jugées pas assez vêtues à l’aide de DignifAI et de générateurs d’images. Un phénomène venu de discussions en ligne ayant tout l’air du troll, mais qui permet aussi aux plus conservateurs d’assouvir leurs fantasmes réactionnaires de femmes plus puritaines et dociles.

Dernièrement, c’est la une de Rolling Stone avec Kristen Stewart qui n’a pas plu à un internaute. Vêtue d’un simple gilet en cuir ouvert et d’un sous-vêtement dans lequel elle glisse sa main, l’actrice américaine voulait que cette couverture soit «hypersexualisée […] et casse les codes de genre», peut-on lire dans l’article du magazine. Mais dans sa version DignifAI, elle se retrouve habillée d’une longue robe bleue et d’une fausse main cette fois hors de son sous-vêtement. La coupe mulet, trop garçonne, est remplacée par de longs cheveux. Les ongles sont vernis, une alliance se glisse sur son annulaire. En somme, la parfaite vision de la «femme tradi» selon les réactionnaires et autres masculinistes.

Ce phénomène tire son origine, comme souvent, du forum 4chan, déjà bien connu pour regorger de contenus nauséabonds et ne pas épargner les femmes. Les utilisateurs du site ont une nouvelle fois fait des leurs le 31 janvier, avec une discussion, depuis inaccessible et nommée «Operation /TradAI». Son créateur y annonçait directement ses motivations : «Avec le pouvoir de l’IA, nous habillerons les instahots [filles dénudées sur Instagram, ndlr], nous les purifierons de leurs tatouages, nous les libérerons de leurs piercings, nous allongerons leurs jupes.»

L’auteur lance par la même occasion le sigle #DignifAI, du nom de la technologie qui permet de transformer les internautes féminines en «tradwives» pudibondes, ces bonnes mères de famille américaines dédiées à leur foyer. Une fois l’IA utilisée, les internautes peuvent partager un «avant-après» des photos ainsi corrigées.

Ajout de vêtements, tatouages gommés, apparition de bébé dans les bras pour certaines, les poses et tenues jugées indignes sont effacées au profit de clichés «plus respectables». Le phénomène touche aussi bien les utilisatrices anonymes que stars internationales.

Quelques plus rares hommes sont eux aussi concernés. Ce qui donne lieu à des scènes assez étonnantes, quand des masculinistes s’écharpent sur le bien-fondé d’une barbe effacée par l’IA pour plus de «dignité» : «Les barbes sont masculines. Les hommes sans barbe sont gays», affirme l’un d’eux sur X (ex-Twitter).

Depuis, DignifAI est devenu un signe de ralliement pour ses adeptes sur les réseaux, ainsi que le nom du compte X de référence en la matière – plus de 60 000 abonnés, un nombre qui grimpe en flèche – où sont centralisés et relayés les détournements du genre. Sous des contenus jugés trop sexualisés, des utilisateurs mentionnent DignifAI, dans l’attente que des internautes s’occupent pour eux de cacher une peau supposément trop apparente. Car sur 4chan, les liens se sont entre-temps multipliés pour donner accès à l’intelligence artificielle, et former par la même occasion les internautes intéressés à son utilisation.

Parmi eux, Jack Posobiec, figure de l’extrême droite américaine, adepte de théories du complot et d’autres manipulations d’information, s’est fait le principal relais de DignifAI sur X – où il est suivi par plus de 2 millions d’abonnés. «DignifAI est en train de redéfinir Internet, salope après salope», se réjouissait-il le 2 février.

«Ça ajoute tellement de dignité à cette femme», écrit un utilisateur, en réponse à un exemple d’utilisation de DignifAI. «L’attraction sexuelle dépend du mystère et de la tension. Plus le sexe et la sexualité sont ouvertement affichés, démystifiés et normalisés, moins c’est excitant», explique un autre.

Si X, la plateforme d’Elon Musk, semble une fois de plus larguée sur la modération de ces contenus problématiques, certains internautes ont tout de même le bon goût de s’offusquer : «Quand des femmes s’habillent modestement, elles sont déshabillées avec une IA, mais quand elles se sexualisent, elles sont rhabillées avec une IA. Putain, je ne sais vraiment pas comment font les femmes en ce moment.»