«Où commence le viol ?» s’interroge Jean-Paul Sartre. Sa chronique, en fait une série de questions-réponses rédigée par un intervieweur anonyme, est publiée dans Libération le 15 novembre 1973. Une affaire secoue alors le lectorat comme la rédaction du journal : il s’agit du viol d’une militante, «d’origine vietnamienne» est-il précisé, par un «immigré», est-il également précisé. «Choisir ce fait divers pour ouvrir le débat sur la sexualité a paru inopportun, voire choquant aux yeux de certains, alors qu’une campagne raciste est amorcée dans la presse de droite, avance l’éditorial, non signé. Mais le viol est le fait des hommes. Certains d’entre eux ont commencé à s’interroger sur la sexualité qu’ils ont imposée aux femmes depuis toujours...». Vaste sujet. «Il est important d’un point de vue révolutionnaire, énonce Jean-Paul Sartre, de décider si l’acte sexuel est une violence, ou s’il existe un acte sexuel non-violent, construit et équilibré.»
Voilà, en résumé, les termes du débat tel que posé par le journal, à l’époque. Il est profondément révélateur des ambiguïtés de son temps, surtout à gauche. Le journal mêle viol et sexualité, oppose lutte féministe et antiraciste, comme si l’une annihilait l’autre. Ceci dit, il tente de s’attaquer à cette question, comme il le peut. Et de comprendre les grands enjeux de la domination masculine. Dans le grand chamboule-tout qu’est la France post-68, ce n’est pas mince.
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