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En France, l’éducation à la vie sexuelle et affective abandonnée aux paniques morales et à la passivité politique

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L’opposition au programme Evras en Belgique fait écho à plusieurs épisodes de fièvre conservatrice contre l’éducation à la vie sexuelle et affective en France, où les cours obligatoires manquent, faute de volontarisme des pouvoirs publics.
Un cours d'éducation sexuelle organisé dans un lycée de Gondecourt, en décembre 2021. (Lionel Pralus/Hans Lucas pour Libération)
publié le 20 septembre 2023 à 20h35

Comme un air déjà entendu. Si l’opposition d’une frange réactionnaire de la société belge au programme Evras (éducation à la vie relationnelle affective et sexuelle) mène à des violences d’une extrême gravité, les discours qui l’accompagnent résonnent avec ceux portés par les mêmes mouvances en France. «Je pense que le gouvernement craint d’avoir à nouveau ces mêmes crispations. Ce sont les mêmes mouvements antichoix qui bloquent sur l’éducation à la sexualité en France», commente la présidente du Planning familial, Sarah Durocher. Des oppositions nettes que l’association constate sur le terrain. «On les ressent. On sait que des tracts sont distribués par des associations aux parents pour faire de la désinformation sur l’éducation à la sexualité», ajoute-t-elle.

En France, l’acmé de ces tensions remonte à 2014, sous la présidence de François Hollande. L’annonce par le gouvernement socialiste de l’expérimentation d’un programme de lutte contre le sexisme et les stéréotypes de genre dans les écoles – «les ABCD de l’égalité», portés par Najat Vallaud-Belkacem, alors ministre des Droits des femmes et de la Jeunesse – avait suscité une panique morale d’une rare intensité. La militante Farida Belghoul, proche de l’essayiste antisémite Alain Soral à l’époque, avait notamment appelé les parents à retirer leurs enfants de l’école. Le gouvernement avait fini par reculer et abandonner le programme.

Campagne de désinformation

Rebelote en 2018, cette fois sous le premier mandat d’Emmanuel Macron. Les anathèmes fusent : le gouvernement serait «sataniste», voudrait «légaliser la pédophilie» ou encore «apprendre la masturbation dès la maternelle». L’origine de cette terreur conservatrice ? La publication d’une circulaire ministérielle rappelant l’obligation, en vertu de la loi de 2001, de tenir trois séances d’éducation à la vie sexuelle et affective pour tous les élèves du CP à la terminale. Ce document précisait également les objectifs de ces séances, adaptées à chaque tranche d’âge et assurées par des enseignants formés, des infirmières scolaires ou des intervenants extérieurs : couvrir le champ biologique (anatomie, prévention contre les IST, contraception) mais aussi psychoémotionnel (respect du corps, estime de soi, orientation sexuelle ou identité de genre) et juridique (consentement, violences sexistes et sexuelles, droits des enfants…)

Comme en Belgique récemment, une vaste campagne de désinformation avait déformé la visée de cette circulaire, à savoir faire appliquer la loi et l’adapter aux besoins des jeunes. Une nécessité criante. Un audit de l’Inspection générale de l’éducation, du sport et de la recherche, remis en 2021, a démontré que vingt ans après l’entrée en vigueur de cette loi, seuls 15 % des élèves bénéficient de ces trois séances à l’école élémentaire et au lycée, moins de 20 % au collège.

Début mars, SOS Homophobie, Sidaction et le Planning familial ont annoncé attaquer l’Etat en justice, sous la bannière du collectif Cas d’école, afin que la loi soit appliquée. A cette occasion, un sondage Ifop montrait que 17 % des 15-24 ans interrogés n’avaient même jamais eu le moindre cours sur la question. «On attend un retour du tribunal et une rencontre avec le nouveau ministre de l’Education nationale, Gabriel Attal», rapporte Sarah Durocher, précisant que la rue de Grenelle a été sollicitée après le remaniement de l’été.

Urgence

Les besoins sont criants. «33 % des femmes se sont déjà forcées à avoir des relations sexuelles parce que leur partenaire était insistant. 66 % des jeunes n’utilisent pas systématiquement de préservatif lors d’un rapport sexuel. 88 % des jeunes adultes considèrent que leur entrée dans la vie sexuelle et affective aurait été meilleure s’ils avaient eu accès à une éducation à la sexualité», égrène le Planning familial. Avant le remaniement, l’ancien ministre de l’Education Pap Ndiaye avait annoncé «l’élaboration d’un programme et d’un plan de formation pour les personnels» pour «accélérer sa mise en œuvre».

Un projet partiellement repris dans le dossier de presse de rentrée du ministère, où une «sensibilisation de chaque enseignant» est évoquée sans plus de détails. Sarah Durocher réagit : «Une sensibilisation c’est très bien, les profs et le personnel de l’Education nationale ont besoin d’être outillés. Mais les associations ne sont pas citées. Il faut une articulation entre des professeurs sensibilisés et l’intervention d’associations.» Une union des forces plus que jamais nécessaire.