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Justice

Féminicide de Nathalie Debaillie : l’Etat condamné pour «faute lourde»

En 2019, Jérôme Tonneau enlevait son ex-conjointe Nathalie Debaillie, la séquestrait puis l’égorgeait avec l’aide de complices. Les multiples plaintes et mains courantes déposées au commissariat de Lille avant le féminicide, n’avaient rien donné.
Au procès de Jérôme Tonneau aux assises du Nord, à Douai, en juin 2024. (Severine Courbe/Voixdu Nord /MAXPPP)
publié le 4 juin 2025 à 19h50

L’Etat a été condamné, ce mercredi 4 juin, pour «faute lourde», à verser 27 000 euros au titre du préjudice moral à la famille de Nathalie Debaillie, assassinée par son ex-conjoint à Lille en mai 2019, contre lequel elle avait déposé trois mains courantes et une plainte. Dans son jugement, la première chambre civile du tribunal de Paris a reconnu qu’il y avait eu «un dysfonctionnement traduisant l’inaptitude du service public de la justice à remplir la mission qui lui était confiée».

«Les enquêteurs auraient dû, après information du procureur de la République, réaliser des actes d’enquête, procéder à toutes vérifications utiles et à l’audition du mis en cause», soulignent les juges dans la décision. Le tribunal n’a, en revanche, pas retenu de faute lourde concernant l’inaction des services de police lors de son enlèvement, qui avait été dénoncée par les requérants, soulignant la «détermination des services enquêteurs à mettre en œuvre tous les moyens utiles afin de porter secours à madame Debaillie».

Il a condamné l’Etat à verser 10 000 euros à chacun des deux enfants de la victime, Romain et Florine, 4 000 euros à son frère, Nicolas Debaillie, et 3 000 euros à son ex-mari Grégory, père de leurs deux enfants, au titre de leur préjudice moral. A l’audience, l’avocate de la famille avait réclamé des sommes bien plus élevées (200 000 euros pour chacun des enfants et 100 000 euros pour le frère et pour l’ex-mari).

Des assignations qui restent rares

Il y a bientôt six ans, Jérôme Tonneau enlevait son ex-conjointe Nathalie Debaillie à son arrivée sur son lieu de travail, la ligotait, la séquestrait puis l’égorgeait dans son appartement avec l’aide de complices. Les multiples plaintes et mains courantes, déposées au commissariat de Lille au cours des quatre mois précédant le féminicide, n’ont rien donné. L’employée de banque et mère de deux enfants avait pourtant raconté aux policiers le harcèlement, le hacking ou encore les menaces de mort.

«Cet homme n’a eu de cesse d’être violent avec toutes ses compagnes», rappelait Isabelle Steyer, l’une des avocates de la famille Debaillie, lors de l’audience le 7 mai. Une ex-compagne avait notamment porté plainte pour tentative de strangulation en 2015, classée sans suite par le parquet de Lille. Il était alors sous contrôle judiciaire pour des faits d’escroquerie avec incendie volontaire, qui lui avaient valu un an de prison ferme.

Malgré les éléments à leur disposition, les policiers lillois n’ont jamais entendu Jérôme Tonneau. Pas même lorsqu’il s’est présenté au commissariat pour porter plainte contre son ex-conjointe, qu’il accusait d’avoir volé son téléphone. Cette plainte est la seule à avoir abouti à une convocation, celle de Nathalie Debaillie. Les assignations en justice contre l’Etat dans les affaires de féminicides restent rares. Contactée par Libération, la chancellerie dénombrait en mars dernier 29 condamnations de l’Etat pour faute lourde en 2023, dont dix concernaient des scellés (perdus, détruits, immobilisés). «Les recours en matière de féminicides représentent un faible volume de dossiers», précisait alors le ministère.

L’avocate des Debaillie, Isabelle Steyer, avait déjà poursuivi l’Etat après le triple assassinat, en 2014, d’Isabelle Thomas et de ses parents par son ex-conjoint à Grande-Synthe (Nord). En 2020, la justice avait condamné l’Etat pour «faute lourde», à verser 100 000 euros aux proches des victimes. Plus récemment, les proches de Chahinez Daoud, assassinée par son époux Mounir B. le 4 mai 2021, à Mérignac (Gironde), ont eux aussi entamé en 2023 un recours en responsabilité contre l’Etat.