Espace de débats pour interroger les changements du monde, le Procès du siècle se tient chaque lundi à l’auditorium du musée des Civilisations de l’Europe et de la Méditerranée, à Marseille. Libération, partenaire de l’événement, proposera jusqu’en mars, articles, interviews et tribunes sur les thèmes abordés lors de cette troisième édition. A retrouver ici. Informations et réservations sur le site du musée pour la conférence «Luttes féministes, un éternel recommencement ?», lundi 15 janvier à 19 heures.
Une fois de plus, elles appellent à descendre dans la rue. Le Collectif national pour les droits des femmes, le Collectif féministe contre le viol, les Femen ou encore la Fédération nationale Solidarité Femmes appellent à un rassemblement le 11 janvier à Paris et dans une trentaine de villes françaises (Lyon, Lille, Pau, Tours…) pour protester contre les violences sexistes et sexuelles. «Nous dénonçons, nous agissons, nous luttons sans relâche contre ce fléau», écrivent-elles, rappelant que ce combat, les féministes contemporaines le mènent «jour après jour» depuis les années 70.
«Il nous faut rester constamment vigilantes»
Les luttes féministes seraient-elles un éternel recommencement ? Plutôt une vigie constante, dans la continuité des avancées obtenues par le passé, qu’il faut sans cesse veiller à sécuriser, à en croire l’historienne spécialiste du féminisme Michelle Perrot. Dans un entretien accordé à Libération en janvier 2023, elle estimait ainsi que «#MeToo s’inscrit dans la longue lutte des femmes pour la libre disposition de leur corps, revendication centrale depuis les années 70. “Our bodies, ourselves”, clamaient les militantes du Women’s Lib». Dès l’éclosion de ce mouvement planétaire, à l’automne 2017 après la publication dans le New York Times d’une enquête accablante mettant en cause le producteur américain Harvey Weinstein, Michelle Perrot l’avait pressenti : «#MeToo n’en est qu’à ses débuts.»
De fait, l’historienne ne s’était pas trompée, tant la vague a connu houle et ressacs ces six dernières années, illustration du backlash (ou «retour de bâton») théorisé par l’autrice américaine Susan Faludi, à l’aube des années 90. Interrogée par Télérama en mai, Susan Faludi lançait un cri d’alarme en ces termes : «Le backlash est partout, sous nos yeux : de la vague de violences domestiques accrue par la pandémie à l’apparition des “incels”, ces célibataires involontaires qui haïssent les femmes, en passant par le déluge de pornographie et de cyberharcèlement.» Et de poursuivre : «Aux Etats-Unis comme ailleurs, aucune conquête féministe n’est gravée dans le marbre, et il nous faut rester constamment vigilantes.» En atteste le renversement, en juin 2022, de l’arrêt Roe vs. Wade par la Cour suprême américaine, entraînant une remise en cause de l’accès à l’avortement aux Etats-Unis, désormais interdit ou fortement restreint dans une vingtaine d’Etats.
«Les violences sexuelles sont devenues un sujet national»
Alors, sans cesse, les féministes doivent remettre l’ouvrage sur le métier et lutter pour consolider les droits chèrement acquis. En France, ce revers américain a conduit à une forte demande des militantes pour que le droit à l’IVG soit inscrit dans la Constitution. Le projet de loi constitutionnelle en ce sens sera examiné le 24 janvier à l’Assemblée, en vue d’un examen au Congrès, réuni à Versailles, en mars. De la même manière, l’affaire Depardieu, accusé de violences sexuelles par une quinzaine de femmes, visé par trois plaintes pour viol et agression sexuelle, et soutenu avec force par le président de la République, a sans doute conduit à cette nouvelle vague de protestations contre les violences sexuelles et «l’impunité» dont elles font encore largement l’objet, selon les termes de l’appel à manifester. «Des années qu’on essaie de mettre le viol au cœur du débat public. Cette fois, ça y est : les violences sexuelles sont devenues un sujet national», estime Sophie Barre, membre de la coordination nationale du collectif féministe #NousToutes, pour qui la tribune initiale issue du monde du cinéma, et l’avalanche de contre-tribunes qui s’est ensuivie constituent un «tournant». Pour l’actrice Laure Calamy, «c’est un #MeToo à la française qui est en train de se passer». Signe, s’il en fallait, de la vitalité du mouvement féministe. «Nous vivons un moment féministe d’une importance considérable», saluait ainsi Michelle Perrot en début d’année.