«Je pose la question qui vaut pour chacun : est-ce que vous avez quelque chose à ajouter pour votre défense ?» Ce lundi 16 décembre, le président de la cour criminelle du Vaucluse, Roger Arata, a invité les 50 accusés (un 51e est en fuite) serrés dans le box et sur les bancs du palais de justice d’Avignon à prendre la parole une ultime fois avant le silence de la délibération. Jeudi probablement, les cinq juges rendront leur verdict, refermant le procès. La séance, bouleversée ce matin encore par des nuées de caméras, reprendra ensuite son activité ordinaire après presque quatre mois de procès complexe, d’applaudissements et de huées, de débats tendus à la barre comme dans la salle des pas perdus et jusque sur les murs d’Avignon via les collages féministes. Hors norme.
Dominique Pelicot, contre qui vingt ans de réclusion ont été requis, est invité à prendre la parole le premier depuis son box, toujours assis sur sa chaise «spéciale» obtenue en début de procès à la suite d’ennuis de santé. «Je voudrais commencer par saluer le courage de mon ex-femme, a entamé le septuagénaire. Je regrette ce que j’ai fait, d’avoir fait souffrir [ma famille] depuis quatre ans [date de son arrestation, ndlr]. Je leur demande pardon.» Il tient aussi à remercier la cour qui lui a permis de rester assis : «Cela a été interprété comme un manque de respect, ce n’est pas le cas. J’ai une honte intérieure, une carapace que je me suis créée car, sans carapace, on meurt en prison.» Merci, encore, à son avocate Béatrice Zavarro : «A plusieurs reprises, j’ai voulu lâcher la rampe, mais par vos conseils, votre humanité, vous me l’avez déconseillé. Ç’aurait été faire preuve de lâcheté pour les miens et de facilité pour les accusés, vous aviez raison.» Elle lui répondra un peu plus tard une fois l’audience terminée : «Dominique Pelicot a pu s’exprimer très librement sur ces trois mois. On peut au moins lui accorder le bénéfice de la sincérité.»
Contre-enquête
La suite, son client l’a confiée à la cour : «J’ai plutôt l’intention de me faire oublier», a-t-il déclaré, avant de s’adresser de nouveau aux bancs des parties civiles. «J’ai payé ma dette envers la prison [la société, ndlr], jamais envers ma famille. La privation de ne plus voir les siens est pire que la privation de liberté. Je veux dire à toute ma famille que je les aime. Voilà, vous avez le reste de ma vie entre vos mains…» Assise face à lui, Gisèle Pelicot s’est gardée de toute réaction, comme elle s’y est astreinte à chaque intervention de son ex-mari. Ses trois enfants, eux, ne s’étaient pas déplacés pour l’audience.
Après Dominique Pelicot, les autres accusés se sont emparés avec plus ou moins de verve du micro tendu par le président. Une trentaine d’entre eux a estimé n’avoir «rien à rajouter». Certains se contentant de le dire, d’autres y ajoutant des remerciements à leurs avocats, à la cour, à l’huissier, d’autres martelant leur absence de culpabilité, se déchargeant une dernière fois sur «l’ogre de Mazan». Redouane E., contre lequel les avocats généraux ont requis douze ans de réclusion, est le seul à avoir tenté d’aller au-delà de la consigne rappelée en amont par le président – «il ne s’agit pas de répéter ce qui a pu être plaidé par les avocats ces derniers jours» – pour développer sa théorie d’un complot, contre-enquête à l’appui, déjà distillée au cours des audiences. Sous les yeux désolés de son avocate et le regard agacé de Gisèle Pelicot, le voilà qui sort ses notes d’un dossier bleu, cite des pièces «laissées de côté par les enquêteurs», fait des recoupements… «Je suis dans un procès marmite, je dois me défendre à tous les niveaux», a-t-il tonné lorsque le président l’invitait en douceur à s’exprimer pour sa défense plutôt que de dérouler l’affaire, avant de parvenir à l’interrompre.
Prises de parole
Une quinzaine d’accusés ont choisi, eux, de réitérer leurs excuses à la victime. «Je sais qu’elles vous sont inconcevables. C’est bien à votre corps que j’ai fait subir ce viol», a reconnu Cédric G., 51 ans, contre qui l’accusation a requis seize ans de prison. «Je n’ai jamais voulu violer personne, je le jure», a insisté Mohamed R. Jérôme V., venu six fois au domicile des Pelicot à Mazan et contre qui les avocats généraux ont requis seize ans, a quant à lui annoncé que, quelle que soit la peine que lui réservait le tribunal, il s’engageait d’ores et déjà à ne pas faire appel. «Pour protéger la victime, a-t-il expliqué. Et je ne vais pas demander à ma compagne de revivre quelque chose de traumatisant.»
Les prises de parole ont duré à peine plus d’une heure. «Nous allons donc nous rendre dans la chambre des délibérations et n’en sortirons que quand nous aurons pris notre décision», a ensuite annoncé le président Arata, demandant aux accusés laissés libres d’ici là de «rester à disposition» de la justice pour se présenter jeudi à 9 heures. Une heure théorique, le verdict pouvant être repoussé jusqu’à vendredi matin, a-t-il prévenu. A sa sortie du tribunal, Gisèle Pelicot a une dernière fois remercié les soutiens venus à nouveau l’applaudir avant de quitter le tribunal.
Mis à jour à 17h15 avec notre compte-rendu d’audience.