Comment mieux rendre hommage à Gisèle Halimi, avocate à l’avant-garde du combat pour le droit à l’avortement, qu’en faisant graver l’IVG dans le marbre de la Constitution ? Cela n’a pas échappé à l’Elysée et à son locataire. En ce 8 mars, journée internationale des droits des femmes, et au lendemain d’une mobilisation sociale contre la réforme des retraites qui maltraite particulièrement les femmes, le président de la République a annoncé «dans les prochains mois» un projet de loi constitutionnel visant à inscrire le droit à l’avortement à la plus haute hiérarchie des normes. Ayant l’initiative de cette révision, Emmanuel Macron présentera ensuite ce texte pour adoption au Congrès (soit la réunion de l’Assemblée nationale et du Sénat). Une majorité des trois cinquièmes de ses membres sera alors requise pour que le texte soit définitivement adopté. «Les avancées issues des débats parlementaires, à l’initiative de l’Assemblée nationale puis éclairées par le Sénat, permettront je le souhaite, d’inscrire dans notre texte fondamental cette liberté», a plaidé Emmanuel Macron dans la salle d’audience de la Première chambre de la Cour d’appel de Paris où trônait la robe d’avocate dans laquelle Gisèle Halimi a prêté serment.
«Nous ne voulons plus jamais de procès de Bobigny, comme nous ne voulons plus jamais de procès d’Aix en Provence» : une référence à deux des victoires judiciaires majeures arrachées par l’avocate Gisèle Halimi. Lors du «procès de Bobigny», l’avocate avait défendu en octobre 1972 Marie-Claire Chevalier, 16 ans, tombée enceinte après avoir été victime d’un viol mais aussi sa mère Michèle, qui l’a aidée à l’avorter. L’affaire a marqué une étape clé vers l’adoption de la loi Veil dépénalisant l’IVG en 1974. Durant une plaidoirie historique en novembre 1972, elle osait alors clamer : «J’ai avorté. Je le dis. Messieurs, je suis une avocate qui a transgressé la loi.» «Je veux aujourd’hui que la force de ce message nous aide à changer notre Constitution afin de graver la liberté des femmes, à recourir à l’interruption volontaire de grossesse pour assurer solennellement que rien ne pourra entraver ou défaire ce qui sera ainsi irréversible», a martelé ce mercredi Emmanuel Macron.
Liberté ou droit ?
Inscrire l’IVG dans la Constitution ? Cette protection symbolique forte est réclamée depuis juin par une gauche ayant montré un front uni avec la majorité parlementaire à l’Assemblée nationale et la plupart des associations féministes, qui la plaçaient dans leurs priorités pour les manifestations se tenant ce 8 mars partout en France. Cette inscription dans la Constitution, à laquelle les Français sont très largement favorables, est un bon moyen pour l’Elysée de détourner l’attention de la grogne sociale grandissante contre la réforme des retraites.
Si le renversement de l’arrêt Roe v. Wade qui sécurisait le droit à l’avortement aux Etats-Unis a produit l’étincelle et mené au dépôt de quatre propositions de loi constitutionnelles, cette volonté de sécuriser le droit des femmes à disposer de leur corps en France était bien antérieure. Par au moins trois fois, les groupes de gauche avaient, entre 2017 et 2019, porté ce combat en s’y cassant les dents. Partie en éclaireuse au Sénat le 19 octobre, avec un texte transpartisan similaire, la sénatrice écolo Mélanie Vogel n’avait pas connu de meilleure issue.
A la surprise générale, le Sénat à majorité de droite avait voté le 1er février, l’inscription dans la Constitution de la «liberté de la femme» de recourir à l’IVG, une formulation à laquelle Emmanuel Macron semble, selon son discours du jour, vouloir se raccrocher. Tout en saluant ce mercredi une «victoire», Mélanie Vogel voit dans cette formulation «un signal inquiétant», l’IVG étant «un droit à garantir et non une simple liberté». Ce texte sénatorial de compromis - faisait suite au vote de la proposition transpartisane portée par la députée LFI Mathilde Panot à l’Assemblée - ne satisfaisait ni la gauche, ni les associations féministes mais permettait à la navette parlementaire de se poursuivre. Aucune révision constitutionnelle n’a été par le passé adoptée par cette voie périlleuse de la proposition de loi constitutionnelle, nécessitant au contraire d’un projet de loi la tenue d’un référendum.
«Avant la fin de son mandat, oui l’IVG sera bien inscrite dans la Constitution»
Si ce projet de loi était attendu, la vigilance est de mise. Cet acte symbolique fort ne doit pas camoufler le nécessaire renforcement de l’effectivité de ce droit, entamé avec la loi Gaillot allongeant les délais de 12 à 14 semaines : lutte contre les déserts médicaux et les inégalités d’accès aux soins, revalorisation des actes d’avortement, suppression de la double clause de conscience… Ce contre-feu macroniste semblerait également être un moyen de remettre sur les rails la réforme constitutionnelle plus globale, comportant notamment une ambitieuse réforme des institutions, voulue par le président et abandonnée durant son premier quinquennat. Ce texte sur l’IVG s’inscrit, selon ses mots, «dans le cadre du projet de loi portant révision de notre Constitution». Un sabotage ? Mathilde Panot «alerte solennellement» sur Twitter : «Ce serait le meilleur moyen pour le Président de faire échouer cette occasion historique, et il en porterait l’entière responsabilité.»
Interrogée à la sortie de l’hommage sur la possibilité d’avoir un texte dédié, la cheffe des députés Renaissance Aurore Bergé indique : «On verra, on va y travailler, il y a aussi un enjeu de révision constitutionnelle.» Au regard des votes de l’Assemblée et du Sénat, elle se veut en revanche optimiste quant à l’issue de ce projet de loi : «On a une majorité des trois cinquièmes. Ce qui veut dire qu’avant la fin de son mandat, oui l’IVG sera bien inscrite dans la Constitution.»
Aujourd’hui, @EmmanuelMacron annoncerait l’inscription de l’IVG dans la Constitution… dans un projet de loi global.
— Mathilde Panot (@MathildePanot) March 8, 2023
J’alerte solennellement.
Ce serait le meilleur moyen pour le Président de faire échouer cette occasion historique, et il en porterait l’entière responsabilité.
A lire aussi
Formulée devant François Hollande, une bonne partie du gouvernement, de nombreux avocats et magistrats, mais en l’absence de Choisir, du Planning familial et de son deuxième fils Serge Halimi qui dénoncent avec cet hommage une récupération politique - cette annonce pour sécuriser le droit à l’avortement s’inscrit dans la continuité logique des combats de Gisèle Halimi. Signataire du Manifeste des 343 dans le Nouvel Observateur en avril 1971, fondatrice de l’association Choisir dans la foulée de ce procès politique, actrice du remboursement de l’IVG en tant que députée en 81… Prenant la suite de Jean-Yves Halimi, Emmanuel Macron s’est évertué à développer durant cet hommage national – maintes fois reporté depuis le décès de Gisèle Halimi le 28 juillet 2020 – le rôle majeur de cette infatigable militante féministe et anticolonialiste sur ce front, sans omettre ses autres combats, notamment contre la colonisation. Jean-Yves Halimi a, lui, saupoudré des fragments de la vie de sa mère, les entremêlant aux siens pour dresser le portrait de cette figure nationale. Alors que la question de sa panthéonisation reste en suspens, il s’est réjoui : «Tu rejoins au Panthéon de notre récit national, celles que j’appelais familièrement les deux Simone, De Beauvoir et Veil.»