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IVG dans la Constitution : le projet de loi passe le premier cap de la commission des lois

Déposé en décembre après des mois d’atermoiements gouvernementaux et une forte pression des féministes, ce texte qui entend faire la synthèse entre les positions de l’Assemblée nationale et du Sénat a obtenu son premier feu vert ce mercredi 17 janvier.
Rassemblement à Paris à l'appel d'organisations féministes et LGBT+, le 26 juin 2022. (Stéphane Lagoutte/Myop pour Libération)
publié le 16 janvier 2024 à 10h41
(mis à jour le 17 janvier 2024 à 14h39)

Un premier test réussi en ce 49e anniversaire de la loi Veil pour le projet de loi visant à inscrire «la liberté» de recourir à une IVG dans la Constitution. Après l’audition du garde des Sceaux, Eric Dupond-Moretti mardi, le texte a été approuvé par la commission des lois de l’Assemblée nationale ce mercredi 17 janvier. De quoi présager une issue favorable à son examen dans l’hémicycle du Palais Bourbon la semaine prochaine, malgré les réticences habituelles de l’extrême droite et de la droite autour notamment de sa rédaction.

Déposé en décembre après des mois d’atermoiements gouvernementaux et une forte pression des féministes, ce projet de loi constitutionnel propose d’ajouter à l’article 34 de la Constitution : «La loi détermine les conditions dans lesquelles s’exerce la liberté garantie à la femme d’avoir recours à une interruption volontaire de grossesse.» Par cette formulation, le gouvernement entend faire la synthèse de celles votées à l’Assemblée nationale et au Sénat.

Dans la foulée du renversement de l’arrêt Roe v. Wade en juin 2022, qui sécurisait auparavant le droit à l’avortement aux Etats-Unis, six propositions de loi constitutionnelles avaient été déposées pour graver ce droit fondamental dans le marbre constitutionnel français. Celle de la cheffe de file LFI Mathilde Panot – «la loi garantit l’effectivité et l’égal accès au droit à l’interruption volontaire de grossesse» – avait réussi à récolter l’assentiment de la chambre basse.

Connu pour ses positions conservatrices, le Sénat à majorité de droite avait créé la surprise en l’adoptant à son tour d’une courte majorité, avec toutefois des modifications substantielles. Il n’est depuis plus question de «droit» mais de «liberté». «La loi détermine les conditions dans lesquelles s’exerce la liberté de la femme de mettre fin à sa grossesse», a voté la chambre haute.

«Un souci de clarté»

La Commission nationale consultative des droits de l’homme relevait, dans un avis révélé par Libération, que ce texte n’«apport [ait] rien par rapport à la situation actuelle». L’ajout du terme «garantie» y est essentiel, comme l’a souligné mardi Guillaume Gouffier Valente, député Renaissance et rapporteur lors de l’audition : «La suppression du mot «garantie» rétablirait une incertitude sur l’intention du constituant, voire indiquerait que celui-ci a contrario n’a pas voulu garantir ce droit, ce qui serait contre productif.»

Il rejoint les propos du garde des Sceaux Eric Dupond-Moretti : «Si le gouvernement a choisi ce terme, c’est dans un souci de clarté, il ne s’agit pas de créer un droit absolu et sans limite mais de faire référence à l’autonomie de la femme, de garantir ainsi l’exercice d’une liberté qui lui appartient dans les conditions prévues par la loi.»

Sur LCI, la nouvelle ministre déléguée à l’Egalité Aurore Bergé, qui avait retiré sa propre proposition de loi pour rejoindre le consensus autour du texte insoumis, avait également rappelé dimanche : «Est-ce que ça doit être un droit ou une liberté ? En vérité, je crois que ce qu’il faut, c’est qu’on garantisse que ça puisse être adopté à l’Assemblée, au Sénat.»

Reprenant un projet de longue date sur lequel la gauche s’était plusieurs fois cassé les dents, cette alerte venue d’outre-Atlantique a permis de poser les jalons d’une évolution législative majeure. Les parlementaires ambitionnaient, eux, par ce vote des deux chambres d’inciter Emmanuel Macron à reprendre en main ce dossier.

Si ce projet de loi constitutionnel devra désormais être voté dans les mêmes termes à l’Assemblée et au Sénat le 26 février, puis trouver une majorité des trois cinquièmes des parlementaires réunis en Congrès à Versailles (a priori le 5 mars), il permet d’éviter la tenue d’un référendum. Avec près de neuf Français sur dix favorables à cette inscription, selon un sondage Ifop de novembre 2022, l’issue d’un tel scrutin ne laisserait que peu de suspens. Sa tenue risquerait en revanche de donner encore davantage de visibilité aux discours anti-avortement.

110 amendements déposés

Face aux voix s’étant élevées à l’extrême droite lors de l’audition du ministre de la Justice pour dénoncer un projet «peu utile» (dixit Pascale Bordes) ou à celles de LR (par l’intermédiaire d’Emilie Bonnivard) craignant une rupture d’«équilibre de la loi entre le droit à l’avortement et le droit de l’enfant à naître», Eric Dupond-Moretti a rappelé : «Le Conseil d’Etat nous dit que la liberté de recourir à l’interruption volontaire de grossesse n’est garantie par rien, ni par la Constitution, […] ni par le Conseil constitutionnel, ni par la jurisprudence de la Convention européenne de sauvegarde, ni par la Cour de justice de l’UE. De façon intrinsèque, ça justifie que nous inscrivions la liberté et la garantie de la liberté dans la Constitution.»

Les 110 amendements déposés dessinent la fracture gauche-droite qui s’est exprimée lors de l’audition et laissent déjà présager un débat acharné le 24 janvier. Si certains à gauche poussent pour un retour de la mention du «droit», d’autres à droite s’attachent au retour de celle du Sénat pourtant déjà prédominante dans le choix gouvernemental. Même si des parlementaires de gauche critiquent la manière dont a été rédigée la dernière version du projet de loi, les représentants de groupes politiques semblent vouloir rechercher un compris.

«Nous changerons cette rédaction, je l’espère, dans la Constitution de la VIe république en ajoutant son corollaire qui est le droit à la contraception», a projeté Mathilde Panot, en écho à sa proposition de loi initiale. Louant un texte «consensuel» et «transpartisan», Eric Dupond-Moretti a conclu : «On a un grand texte de liberté. Ce n’est pas tous les jours qu’on peut tous ensemble préparer, porter, voter en ce qui vous concerne un texte de liberté, soit on choisit de chipoter mais ce n’est pas ce que j’ai entendu aujourd’hui, soit on consacre ce texte et on l’inscrit dans la Constitution.» Si le chemin semble donc plutôt dégagé à l’Assemblée nationale, l’examen du texte au Sénat reste, lui, plus incertain. Une nouvelle étape du combat.

Mise à jour : mercredi 17 janvier à 14h20, avec l’ajout de l’adoption du texte par la commission des lois de l’Assemblée nationale.