Pour un journal qui embrasse les luttes féministes depuis bientôt cinquante ans, mettre en lumière les dérives et surenchères parmi les militantes de cette même cause peut laisser un goût amer. Depuis l’affaire Adrien Quatennens, puis la mise en retrait de Julien Bayou, Libération a documenté l’embarras des partis politiques face au nécessaire combat contre les violences sexistes, sexuelles mais aussi psychologiques. Cette fois, nos révélations mettent le doigt sur un autre malaise : celui qui pèse sur les sphères militantes féministes et vient peut-être de coûter sa carrière au patron de l’un des principaux partis de France.
Quand tout le monde a les yeux rivés sur Sandrine Rousseau, se demandant si elle aurait fomenté seule un complot politique visant à se débarrasser du secrétaire national d’EE-LV, nos investigations montrent que ce qui est devenu «l’affaire Bayou» a en réalité commencé trois ans avant que la députée de Paris ne balance une bombe en direct à la télévision.
Bien avant que le grand public ne s’interroge sur les «comportements de nature à briser la santé morale des femmes» du coprésident du groupe écologiste à l’Assemblée, Julien Bayou se sait surveillé par des militantes écolos et féministes, et parfois d’ex-petites amies. Depuis trois ans, le patron des Verts vit sous la pression de l’enquête d’un collectif féministe informel, lui reprochant ses comportements avec les femmes et voulant empêcher un «prédateur» et un «manipulateur» de nuire. Par «sororité», se défendent-elles.
Qu’est-ce qui est le plus stupéfiant dans cette affaire ? Les méthodes de celles qui se décrivent comme des «louves alpha» et font justice seules, loin de tout cadre formel ? Le fait que l’une des meneuses soit par ailleurs membre de la cellule contre les violences sexuelles et sexistes (VSS) qui s’est auto-saisie et de la commission féminisme du parti, questionnant le positionnement de cette instance ? Le fait que les accusations n’aient jamais été clairement qualifiées et Julien Bayou jamais entendu ? La participation d’ex-compagnes ? Le mélange des genres entre politique, lutte contre les VSS et ruptures amoureuses douloureuses en dehors de toutes règles de droit ?
En pensant protéger leurs sœurs et les valeurs qui sont chères à Libération, ces justicières pourraient avoir fait plus de mal que de bien à la cause qui nous unit.