Un signal positif du côté du Sénat et un premier soulagement pour les féministes attendant avec fébrilité l’examen, le 28 février, du projet de loi constitutionnel pour inscrire l’IVG dans la Constitution. «La Commission [des lois, ndlr] a décidé de ne pas s’opposer à la constitutionnalisation de la liberté de recourir à l’interruption volontaire de grossesse et prend acte du texte qui est proposé par le gouvernement», a déclaré à l’AFP la rapporteure du texte Agnès Canayer (LR), tout en pointant «un certain nombre d’irritants» qui seront débattus en séance publique. Parmi eux, l’absence de consécration de «la liberté de conscience des professionnels de santé» dans la Constitution, mentionne le communiqué de la commission. Aucun amendement n’a été soumis pour l’heure à la Commission, ce qui n’empêche pas que certains le soient lors de la séance publique.
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La sénatrice écolo Mélanie Vogel, qui était partie en éclaireuse le 19 octobre 2022 en portant l’une des six propositions de loi constitutionnelles déposées dans la foulée du renversement de l’arrêt Roe v. Wade aux Etats-Unis, salue dans un communiqué : «C’est une victoire politique majeure. Là où il y a un an et demi, la droite sénatoriale nous promettait l’effondrement de l’édifice constitutionnel en cas d’inscription du droit à l’avortement dans notre texte suprême, elle admet aujourd’hui que le principe même de cette inscription ne fait plus débat.» A la veille de son examen à l’Assemblée nationale, le président LR du Sénat avait rallumé tous les signaux d’alerte en partageant, à titre personnel, sa ferme opposition à cette révision.
«L’unique voie de sagesse»
Lors d’un vote solennel le 30 janvier, la Chambre basse a, elle, approuvé à une très large majorité l’inscription à l’article 34 de la Constitution la mention suivante : «La loi détermine les conditions dans lesquelles s’exerce la liberté garantie à la femme d’avoir recours à une interruption volontaire de grossesse.» Les députés avaient alors opté au terme de longs et houleux débats pour la voie du compromis, alors que ce projet de loi déposé par le gouvernement en décembre entend par sa rédaction faire la synthèse entre les positions votées au Sénat et à l’Assemblée.
Ce texte doit désormais être voté dans les mêmes termes par la Chambre haute, «l’unique voie de sagesse pour répondre à l’attente de la société française» insiste la sénatrice écolo, avant de trouver une majorité des trois cinquièmes des parlementaires réunis en Congrès à Versailles. En ayant envisagé la date du 5 mars en cas de vote conforme dès le mois de décembre, le gouvernement est soupçonné d’avoir voulu «faire pression sur les sénateurs», a tancé la rapporteure lors de l’audition, mardi, du garde des Sceaux. Mais au-delà de cette vexation calendaire, c’est la formulation, dont la «portée juridique» interroge la commission, qui sera une nouvelle fois au cœur des débats au palais du Luxembourg, dominé par la droite. «Le rapport présenté par la sénatrice Canayer, s’il présente des arguments visant à discuter la formulation retenue, reconnaît qu’il n’existe pas de raison sérieuse de rejeter ce texte ni de l’amender», pointe Mélanie Vogel.
Un «OVNI»
Si l’issue du vote est incertaine, ce texte reprend quasi intégralement la version votée au Sénat le 2 février 2023 («la loi détermine les conditions dans lesquelles s’exerce la liberté de la femme de mettre fin à sa grossesse») en lui ajoutant la notion de «garantie» dans laquelle réside toute la solidité de cette protection, selon l’avis du Conseil d’Etat rendu en décembre. Lors de l’audition d’Eric Dupond-Moretti devant la commission, la rapporteure Agnès Canayer s’est dite «dubitative sur ce concept» et a même parlé de cette «liberté garantie» comme d’un «OVNI».
«J’espère que le Sénat dira oui de nouveau sur la base de cette écriture calibrée et sous pesée, fruit de nombreux travaux parlementaires pour que nous puissions faire de la France le premier pays au monde à protéger la liberté des femmes à disposer de leurs corps», a introduit mardi le garde des Sceaux, en s’appuyant de nouveau sur l’avis du Conseil d’Etat. Ce dernier montre notamment qu’il n’existe pas, aujourd’hui, de véritable protection supra législative du droit de recourir à l’avortement. «De 1958 à 1975, l’IVG était interdite en France et nous avions la même Constitution. C’est assez clair, il n’y a pas de valeur constitutionnelle au droit à l’IVG», a rappelé Mélanie Vogel en commission.
«Votons»
Lors de cette audition, le sénateur LR Philippe Bas - à l’origine de l’amendement ayant abouti au vote d’un texte reformulé l’an dernier - a tout de même estimé : «Soit [le mot garanti] n’a pas de portée juridique, dans ce cas il ne faut pas le mettre, soit il en a une comme je le décris [en créant un droit opposable, ndlr] et il faut le retirer.» L’avis du Conseil d’Etat répond pourtant à ces craintes maintes fois exprimées par la droite : cette rédaction «laisse au législateur la possibilité de faire évoluer le cadre juridique dans lequel s’exerce cette liberté».
Faisant écho aux réticences de ses collègues députés - les plus nombreux devant le RN à avoir voté contre cette constitutionnalisation - Philippe Bas interpelle même : «Si demain le parlement décidait de ramener de 14 à 12 semaines le délai de l’interruption volontaire de grossesse, le texte constitutionnel s’y opposerait ou pas ?» Paraphrasant son collègue, la présidente de la délégation aux droits des femmes centriste Dominique Vérien lui a rétorqué : «Soit le fait de voter ne change rien alors votons, soit ça protège mieux alors votons.» Un appel lancé vendredi par la Fondation des femmes avec l’appui de personnalités dans L’Obs enjoint les sénateurs a voté pour cette constitutionnalisation. En cinq jours, elle a déjà récolté près de 50 000 signatures.