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Violences sexuelles

La soumission chimique, «c’est une question de santé publique»

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Que ce soit chez les médecins ou les pharmaciens, les professionnels de l’addictovigilance pointent un manque de formation sur ce sujet, pourtant nécessaire comme le démontrent les chiffres.
La soumission chimique est, selon la définition du centre d’addictovigilance, «l’administration à des fins criminelles (viols, actes de pédophilie) ou délictuelles (violences volontaires, vols) de substances psychoactives (SPA) à l’insu de la victime ou sous la menace». (Fernando Gutierrez-Juarez/dpa via AFP)
par Elisa Boyer
publié le 13 juillet 2024 à 10h38

«La soumission chimique n’est pas une affaire de faits divers, c’est une question de santé publique. Nous devons former les professionnels de santé pour qu’ils connaissent cet enjeu et qu’ils soient en mesure d’apporter une réponse quand une victime se confie à eux.» Leïla Chaouachi est pharmacienne au centre d’addictovigilance de Paris et rapporteure de l’enquête «Soumission chimique» auprès de l’Agence nationale de sécurité du médicament. Réalisé en 2021, son rapport recensait 727 signalements suspects cette année-là. Soit 82 cas de soumission chimique vraisemblables, 354 cas de soumission chimique possibles et 291 cas de vulnérabilité chimique.

La soumission chimique est, selon la définition du centre d’addictovigilance, «l’administration à des fins criminelles (viols, actes de pédophilie) ou délictuelles (violences volontaires, vols) de substances psychoactives (SPA) à l’insu de la victime ou sous la menace», tandis que la vulnérabilité chimique désigne «l’état de fragilité d’une personne induit par la consommation volontaire de SPA la rendant plus vulnérable à un acte délictuel ou criminel».

Des médicaments faciles à trouver

Lorsqu’on évoque la soumission chimique, la première drogue qui vient en tête est souvent le GHB, mais d’autres substances, comme les benzodiazépines ou les antihistaminiques, peuvent également être employées. Des médicaments que l’on peut trouver dans l’armoire à pharmacie familiale, auxquels l’accès est assez simple, comme l’explique à Libération Caroline Darian, dont la mère a été violée pendant plusieurs années par son époux et des dizaines d’autres hommes alors qu’elle était inconsciente – une affaire qui a médiatisé la question de la soumission chimique.

Le phénomène reste cependant encore méconnu d’une partie du corps médical. Romane (1) a 24 ans. Cette année, elle sera diplômée d’une école de pharmacie et deviendra pharmacienne. «Je n’ai jamais entendu parler de soumission chimique, affirme-t-elle. Je pense que ce serait bien de faire une formation à ce sujet pour savoir comment orienter les personnes qui auraient besoin d’aide.» À Fréjus, Marine (1), 27 ans, est pharmacienne diplômée. «Je connais la soumission chimique, mais pas par mes études. J’ai des amis dans la police qui m’ont parlé de ces situations.»

Sur ce sujet, Leïla Chaouachi développe : «Si une victime s’adresse à un professionnel de santé pour dénoncer ce qu’on lui a fait, il faut qu’il soit capable de l’orienter vers les bonnes structures, de lui donner les bons conseils et de lui faire les bons examens. Ce qui n’est pas possible s’il apprend l’existence de ce sujet au moment où la victime lui en parle.» Au-delà d’un module dans les formations initiales au moment des études, il faudrait, selon la pharmacienne, une formation continue pour que les soignants soient tenus informés des structures et réactions à avoir. «L’idée, c’est de faire connaître le problème, de former les personnes à réagir, mais aussi de déconstruire les préjugés. Si on pense que ça n’arrive qu’aux jeunes, on ne posera pas la question à des personnes plus âgées, par exemple.» Cette dernière a déjà animé plusieurs ateliers, mais «ces cours ne sont pas suffisamment déployés et systématisés. Il faut leur donner les moyens de se développer».

«Le plus important, c’est d’oser parler sexualité avec les patients»

Au Collège des médecins généralistes de France, les praticiens rédigent des aides à la pratique autour des violences et des troubles addictifs. «On a mis en place un livret dans lequel on évoque des cas de soumission chimique, raconte Maxime Pautrat, médecin généraliste et membre du groupe de travail autour des violences sexuelles et des substances psychoactives dans le Collège. Le plus important, c’est d’oser parler sexualité avec les patients. Aborder la santé sexuelle en consultation doit surtout être l’occasion d’explorer le consentement et peut permettre de dévoiler des situations de vulnérabilité chimique, par exemple. Mais cela peut être compliqué, car les patients ne sont pas forcément à l’aise. Il faut parfois poser la question plusieurs fois avant d’avoir une réponse.»

Au-delà d’une formation des professionnels de santé, Leïla Chaouachi insiste sur l’importance d’être attentif, ne serait-ce qu’en tant que citoyen. «On note que dans des situations de vulnérabilité ou de soumission chimique, l’abus peut être évité car la victime était accompagnée tout au long de sa fragilité par un ami, un proche, ou même un tiers. Il est donc très important que ce sujet se fasse mieux connaître pour que nous sachions réagir de la bonne façon et puissions réduire ces situations.»

(1) Le prénom a été changé.