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Libération
#MeToo

L’actrice Sarah Grappin accuse le cinéaste Alain Corneau de violences sexuelles

Violences sexuellesdossier
Dans une enquête de «l’Obs», la comédienne dévoile la relation d’emprise qu’elle a eue avec le réalisateur dans les années 90 alors qu’elle n’avait que 16 ans et lui 52.
Sarah Grappin, le cinéaste Alain Corneau et Nicolas Chatel sur le tournage du film «le Nouveau Monde», en janvier 1994. (jerome prebois/Sygma. Getty Images)
publié le 14 février 2024 à 17h58

Leurs voix s’entremêlent et se portent, percutent le silence pesant dans lequel elles ont été enfermées. Inspirée par le témoignage de la comédienne Judith Godrèche contre les cinéastes Benoît Jacquot mais aussi Jacques Doillon, contre qui une plainte a été déposée pour viol, Sarah Grappin a décidé de récupérer cette parole qu’on lui avait, des décennies durant, subtilisée. C’est dans les pages de l’Obs que l’actrice a dévoilé, ce mardi, sa relation sous emprise avec le réalisateur Alain Corneau alors qu’elle n’était, tout comme Judith Godrèche, encore qu’une adolescente. Si le témoignage de sa consœur a produit le dernier déclic, la lecture du Consentement de Vanessa Springora aura aussi préparé Sarah Grappin à cette possibilité d’accuser publiquement le réalisateur, décédé en 2010, de viols et agression sexuelle.

Elle rencontre le cinéaste en 1994, sur le plateau du tournage du film Le Nouveau Monde. Elle a 15 ans, lui 52. En fin de tournage, Alain Corneau, qui a remporté le césar du meilleur film avec Tous les matins du monde deux ans plus tôt, l’aurait attirée dans un coin et demandé : «Est-ce que tu veux m’embrasser ?» Une question «rhétorique tant il domine l’instant par son âge et son statut», remarque l’hebdomadaire dans son enquête. S’amorce une relation sous emprise, auprès du magazine elle se souvient d’une «ambivalence», celle d’une adolescente émerveillée d’«être l’élue de l’homme le plus cultivé du monde» tout autant que dégoûtée par ses contacts physiques qu’elle ne souhaite pas. «Moi, je veux juste son regard sur moi», confie celle qui était aussi victime d’inceste en notant avoir dans ces moments-là «l’impression d’être une adulte».

«Tu n’es pas la seule à vivre ça»

Le cinéaste lance même à Sarah Grappin : «Tu n’es pas la seule à vivre ça, c’est arrivé à Judith Godrèche.» Il lui donne rendez-vous dans des cafés, l’embrasse dans la rue, l’emmène au restaurant, la fait monter dans sa voiture et l’invite même à venir chez lui, parfois en présence de sa compagne Nadine Trintignant. Alain Corneau lui aurait imposé par trois fois des pénétrations digitales non consenties, soit des faits pénalement qualifiés de viols. Cette relation d’emprise dure un an et demi. «Très longtemps, j’ai été au-delà d’enjoliver, je me suis raconté une grande histoire d’amour pour survivre. Le travail des dernières années a été de sortir du déni», retrace l’actrice. Des années nécessaires pour arriver également à qualifier les violences subies : «A propos de Corneau, je ne parle de viol digital que depuis que j’ai lu Vanessa Springora.»

Le premier révélateur survient pour Sarah Grappin en 2003 au moment de la mort de la belle-fille d’Alain Corneau Marie Trintignant, tuée par le chanteur Bertrand Cantat. «Je visionne une interview d’Alain qui parle d’elle, de son rôle dans Série noire et… J’ai une révélation. Son regard et le champ lexical qu’il utilise sont identiques à ceux de nos tête-à-tête au Wepler.» Dans le sillage du mouvement #MeToo, en 2018, elle témoigne anonymement sur une plateforme dédiée aux violences sexuelles dans le cinéma et le scénariste Geoffroy Grison, recueillant les témoignages, la reconnaît et l’appelle. «C’était bouleversant de voir le chemin qu’elle avait parcouru, le temps que ça avait pris de découvrir le caractère abusif de la relation. Je voyais les dégâts, l’énergie dépensée… D’autant que, pour lui, ça n’a pas dû être grand-chose», relève-t-il à l'Obs.

«Tout ça est ridicule»

Alors que plusieurs amis de l’actrice ont pu percevoir des signaux de ce mal-être et de ces violences, la veuve d’Alain Corneau, Nadine Trintignant, qui avait dans un premier temps signé la tribune de soutien à Gérard Depardieu avant de reconnaître «une grave erreur», balaye ces accusations auprès de l’Obs : «Ces bêtises-là, j’en entends de tous les côtés, pas du tout sur Alain, mais sur plein de gens et je ne veux pas participer à tout ça. Tout ça est ridicule. Ce n’est pas contre vous, mais c’est contre la façon que les gens ont de dire n’importe quoi. Je n’ai pas envie qu’on dise n’importe quoi, surtout sur mon mari, qui est mort et ne peut plus se défendre.» Le décès du cinéaste a d’ailleurs été dévastateur pour Sarah Grappin. Après un silence, elle lâche à l’hebdomadaire : «J’ai compris ce jour-là que je n’aurais pas de réparation réelle, que jamais il ne viendrait s’excuser, que jamais je ne pourrais lui en parler.» Il ne reste plus, pour elle, que de prendre part, par son témoignage, à ce renouveau du #MeToo du cinéma français pour «dénoncer l’impunité et ses dégâts».