A quelques secondes du résultat du vote, Marie-Charlotte Garin et Véronique Riotton s’accoudent à la rambarde en velours rouge des tribunes du Sénat et scrutent l’hémicycle. L’instant est décisif. La députée écologiste et sa collègue Renaissance le savent, elles touchent du doigt l’aboutissement de deux ans de travaux parlementaires transpartisans. La joie éclate. Avec ce vote unanime du Sénat, succédant à celui de la commission mixte paritaire, puis de l’Assemblée la semaine dernière, le Parlement a adopté définitivement, ce mercredi 29 octobre, une modification majeure du code pénal, en intégrant la notion de consentement à la définition du viol et de l’agression sexuelle. Ce que l’Etat français, par la voix d’Emmanuel Macron, avait initialement refusé dans le cadre d’une directive européenne en 2022.
Le viol et l’agression sexuelle seront désormais définis comme «tout acte sexuel non consenti», précisant que «le consentement est libre et éclairé, spécifique, préalable et révocable» et qu’il «ne peut être déduit du seul silence ou de la seule absence de réaction de la victime». Un texte reprenant les quatre critères de la définition actuelle : «Il n’y a pas de consentement si l’acte à caractère sexuel est commis avec violence, contrainte, menace ou surprise, quelle que soit leur nature.»
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Après le vote, dans les couloirs du palais du Luxembourg, une dizaine de militantes féministes entonnent l’Hymne des femmes avec Marie-Charlotte Garin. «C’est un vote historique pour les victimes, pour les femmes et pour ce que la justice peut apporter d’espoir aussi dans notre société, pour l’égalité, la fin de l’impunité», réagit l’écologiste, en glissant qu’«un vote à l’unanimité au Sénat, il y a deux ans, on n’en rêvait pas». Véronique Riotton complète, en rappelant deux objectifs principaux «à court terme» : «Mieux outiller la chaîne pénale, les enquêteurs et avoir une portée sociétale, éducationnelle, pour tous.»
«Culture du consentement»
Cette portée sociétale a traversé l’ensemble des prises de parole des groupes. Citant l’un des accusés du procès des viols de Mazan – «son mari avait dit oui, je pensais qu’elle était d’accord» – Marie Mercier (LR) a appuyé dans sa prise de parole : «On en est encore là en 2025, ce qui nous fait dire que le consentement s’apprend, et ce dès tout petit.» En ayant donné à voir, grâce à Gisèle Pelicot, la réalité crue de la banalité du viol, ce procès a permis d’ouvrir un dialogue plus affirmé.
Ce nouveau texte permettra notamment de mieux prendre en compte les cas de sidération concernant 70 % des victimes de viol, selon l’association Mémoire traumatique et victimologie. «Quand vous ne dites pas oui, c’est non. Quand vous dites oui parce que vous avez peur, c’est non […] Le seul oui qui vaille est un oui libre», a martelé Mélanie Vogel, qui avait elle-même déposé une proposition de loi analogue en 2023. Auprès de Libération, elle réagit : «La réponse à la culture du viol, c’est la culture du consentement. Et cela commence par le fait que le législateur trace la limite entre ce qui est de la sexualité et ce qui est de la violence.»
Pas de consensus
Cette victoire féministe fait moins de bruit que la constitutionnalisation de l’IVG, car elle ne fait pas pleinement consensus. Un certain nombre d’organisations s’y opposent, comme le Collectif féministe contre le viol. «Ce n’est pas une affaire de consentement. On n’est pas dans le domaine de la sexualité, mais de la prédation. Le vrai problème est que les enquêtes judiciaires ne sont pas menées sérieusement, voire pas menées tout court et que les jurisprudences ne sont pas appliquées», déplore Suzy Rojtman, porte-parole du Collectif national pour les droits des femmes. Comme un certain nombre d’élus communistes qui se sont abstenus, elle craint que l’attitude de la victime soit encore davantage scrutée. «Je donnerais ma main à couper que ça ne va pas être «Monsieur, vous êtes-vous assuré de son consentement ?», mais «madame, avez-vous consenti ?»» Des éléments sur lequel le Conseil d’Etat s’était montré rassurant.
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Cette nouvelle définition du viol agit aussi comme marchepied pour réclamer, une fois encore, une loi intégrale contre les violences faites aux femmes – promise par la ministre de l’Egalité, Aurore Bergé – et des moyens à la hauteur. «Ce qu’on attend, ce sont aussi de vraies politiques publiques pour accompagner le travail que font les associations au quotidien auprès des victimes. Nous avons des baisses de subventions. Il y a un manque de cohérence», pointe la présidente du Planning familial, Sarah Durocher, présente au Sénat.