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Libération
Reportage

Manifestation du 8 mars : «Le gouvernement ne fait que ça : de l’enfumage, sans moyens derrière»

Journée internationale des droits des femmesdossier
A l’appel d’associations et de syndicats, une marche féministe s’est tenue dans les rues de Paris mercredi pour dénoncer l’inaction du gouvernement et les inégalités dont les femmes sont victimes, accentuée par la réforme des retraites.
Manifestation contre les retraites et pour les droits des femmes, le 8 mars à Paris. (Albert Facelly/Libération)
publié le 8 mars 2023 à 20h20

Il est des éléments qui s’infiltraient partout mercredi dans le cortège parisien du 8 mars. La pluie battante. Le violet, couleur issue de la révolte des suffragettes anglaises et devenue emblème de la lutte féministe, qui teintait aussi bien des cheveux, des pancartes, des foulards et jusqu’à des trottinettes. Mais par-dessus tout c’est une colère prégnante contre les inégalités dont les femmes sont victimes qui s’est fait entendre. A l’appel de 45 associations (#NousToutes, Osez le féminisme !, les Effronté-es…) et syndicats (FSU, CGT, Solidaires), elles ont rallié la place de la Nation, depuis celle de la République, pour exiger «l’égalité au travail et dans la vie».

«Instrumentalisation évidente»

La contestation contre la réforme des retraites était très présente, menée avec énergie et en musique, entre autres, par les Rosies, en bleu de travail et fichus rouges. «Les pensions des femmes sont inférieures de 40 % à celles des hommes, ce qui est directement causé par les inégalités professionnelles. Tous temps de travail confondus, les femmes sont payées 28 % de moins, et continuent largement de subir des temps partiels», pointe Violaine de Filippis, porte-parole d’Osez le féminisme ! C’est aussi pour dénoncer ces injustices qu’Amélie, inspectrice du travail, avait fait le déplacement depuis l’Essonne. «C’est marquant : les métiers féminisés, souvent ceux à forte utilité sociale, du soin ou de l’enseignement, sont aussi les moins valorisés», déplore la jeune femme, membre du mouvement #NousToutes. Cette lutte est aussi intime, voire intérieure : pour prendre part au cortège, elle a dû demander à son conjoint de s’occuper des enfants. «D’habitude, c’est plutôt moi qui m’en occupe le mercredi. C’est aussi moi qui travaille à 80 %», concède-t-elle, un brin dépitée. Si le cortège semblait un peu moins fourni que les années précédentes, il était aussi incontestablement rajeuni. Ce «portrait de la jeunesse en feu» était d’ailleurs revendiqué sur plusieurs pancartes.

A 16 ans, Jeanne, lycéenne parisienne en blouson moutarde, brandissait une pancarte revendiquant l’inscription du droit à l’IVG dans la Constitution. Elle et ses amis veulent faire reconnaître «ce droit fondamental», et louent l’héritage de Gisèle Halimi, «une femme très inspirante». Jeanne a repassé en boucle sa plaidoirie au procès de Bobigny. «Elle a réussi à s’imposer dans un milieu d’hommes, et elle fut l’une des premières, avec Simone Veil, à rendre le droit à l’IVG concret», salue l’adolescente. Plus ou moins au même moment, le Président rendait un hommage controversé à la célèbre avocate au Palais de justice de Paris, boycotté par plusieurs organisations féministes, dont Choisir la cause des femmes, qu’elle a cofondée, ou le Planning familial. «Je ne peux que saluer l’un des fils de Gisèle Halimi et la position du mouvement Choisir, qui ont préféré ne pas cautionner ce qui relève d’une instrumentalisation évidente», fustige la députée LFI de Seine-Saint-Denis Clémentine Autain, croisée dans le cortège.

Devant son blouson en jean, Lili, étudiante de 20 ans aux Arts déco, brandit un carton sur lequel elle a dessiné des seins. «Il fait trop froid pour montrer les miens !» rit-elle. Venue avec des amies, la jeune femme dit sa «peur» pour le droit à l’IVG en France, et le «dégoût» que lui a inspiré le récent recul de la Cour suprême américaine. Elle aussi voudrait voir le droit à l’IVG sanctuarisé dans la Constitution. Cet hommage présidentiel à Gisèle Halimi ne la convainc pas non plus : «C’est assez simple de ne faire que ça pour faire bonne figure», tempête la jeune femme au carré blond. Au cours de cet hommage, Emmanuel Macron a annoncé la présentation, dans «les prochains mois», d’un projet de loi en faveur de la constitutionnalisation de l’IVG, seul moyen d’éviter un référendum sur le sujet, que réclamaient de nombreuses voix.

Les manifestantes ne se sont pas montrées tendres avec le gouvernement, accusé «d’inaction», et ce malgré la présentation le matin même en conseil des ministres, d’un plan pour l’égalité d’Elisabeth Borne. «Assez d’annonces ! Depuis le début de la macronie, le gouvernement ne fait que ça : de l’enfumage, sans moyens derrière», dénonce Fabienne El-Khoury, autre porte-parole d’Osez le Féminisme ! «Il faut peut-être leur dire qu’on a toujours nos règles après 25 ans», tacle quant à elle Mathilde, étudiante de 20 ans, faisant allusion au remboursement annoncé pour 2024 des protections périodiques réutilisables jusqu’à 25 ans.

«Nous cousons la liberté de notre chair»

Le discours de Faustine, Esther et Jeanne était peut-être moins politisé, mais pas moins engagé. A seulement 14, 12 et 13 ans, ces collégiennes parisiennes n’excluaient pas de sécher leur cours de poterie du mercredi après-midi, et avaient même embarqué leur correspondante allemande pour venir manifester. Cette dernière était chargée de tenir une extrémité de leur banderole, sur laquelle était inscrit : «Nous n’avons pas nos règles, nous sommes juste en colère. Nous cousons la liberté de notre chair». «J’ai été révoltée très jeune par les injustices. Mes deux mères sont engagées sur le sujet, j’ai été éduquée comme ça», lance Esther, appareil dentaire et teddy noir. A l’autre extrémité de la banderole, Jeanne, 14 ans, en classe de 4e, dit son ras-le-bol des remarques des garçons du collège. «En sport, ils nous disent de retourner en cuisine, comme si on n’avait rien à faire là», s’indigne-t-elle. De quoi rester incrédule, quand on a toujours été persuadée, comme elle, «qu’un homme et une femme, c’est pareil».

Selon les organisatrices, des manifestations rejoignant cet appel à la «grève féministe» se sont tenues dans près de 200 villes un peu partout en France, de Bordeaux à Lyon en passant par Marseille, Nantes ou encore Blois et Carcassonne.