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Justice

Miss France : les prud’hommes rejettent le recours pour non-respect du droit du travail et discrimination

La justice prud’homale, qui n’avait pas réussi à trancher en novembre, a rejeté les demandes de l’association Osez le féminisme. Sous la pression de ce recours, déposé en octobre 2021, le concours s’est toutefois vu contraint de faire évoluer ses pratiques et critères.
Miss Guadeloupe, Indira Ampiot, et Miss Nord-pas-de-Calais, Agathe Cauet, attendent les résultats du concours, le 17 décembre dernier. (Guillaume Souvant /AFP)
publié le 6 janvier 2023 à 15h38
(mis à jour le 6 janvier 2023 à 20h24)

Il aura fallu deux audiences au conseil de prud’hommes de Bobigny - dont l’une devant un magistrat - pour trancher le sort d’une institution française : le concours Miss France. L’association Osez le féminisme, appuyée par trois anciennes candidates, avait déposé un recours, en octobre 2021, contre les sociétés Miss France et Endemol production pour non-respect du droit du travail et discrimination au regard des critères de sélection stricts imposés aux concurrentes à la couronne.

Le délibéré a été rendu ce vendredi. «Le Conseil des Prud’hommes se déclare compétent (ce qui signifie qu’il reconnaît l’existence d’un travail et d’un processus de recrutement), mais rejette le reste des demandes», affirme l’avocate de l’association et des trois anciennes candidates, Violaine de Filippis-Abat dans un communiqué. Les motifs de la décision n’ont pour l’heure pas été communiqués. «On attend de les connaître pour étudier les possibilités d’appel», ajoute auprès de Libération Violaine de Filippis-Abat. L’association et les trois demanderesses sont également condamnées à payer la somme de 1 000 euros aux deux sociétés «au titre des frais exposés».

La décision était initialement attendue le 8 novembre mais les quatre conseillers prud’homaux n’étaient alors pas parvenus à trancher ce contentieux. «La Société Miss France et Endemol Production sont heureuses que leurs arguments aient été entendus par le Conseil des Prud’hommes. L’action intentée par l’association Osez le Féminisme a été déboutée et jugée non recevable. Miss France poursuit son engagement et reste attachée à la mise en avant de toutes les femmes», se réjouissent de leur côté les organisateurs du concours.

Miss France contraint à évoluer

Le Conseil des Prud’hommes fait ainsi le choix de ne pas bousculer cette institution quasi inamovible. Il faut dire qu’en un an et demi de procédure, contraint par ce recours et au gré d’un changement de direction à la tête de la société Miss France (pilotée désormais par Alexia Laroche-Joubert), le concours s’est vu obligé de montrer patte blanche. Mise en place d’un contrat de travail avec la production du spectacle, en tant que «mannequins» mais seulement pour les deux jours précédant l’élection et la cérémonie ; assouplissement de certains critères de sélection… un ravalement de façade plus qu’un changement en profondeur.

«Je m’étonne que l’inspection du travail ne se soit pas intéressée aux conditions de répétition du voyage de préparation ayant lieu chaque mois de novembre», comportant notamment des shootings photos obligatoires, pointe l’avocate d’Osez le féminisme. Dans l’expectative en attendant les motifs de la décision, elle ajoute : «On peut supposer que le juge a estimé que l’association ne pouvait pas demander l’établissement de contrat de travail plus long que celui de trois jours déjà obtenu pour les femmes qui candidatent. Toutefois, à cette heure-ci, nous n’avons aucune perspective pour l’étayer.»

Concernant les nouveaux critères de participation, le règlement national stipule - depuis la dernière élection remportée par Miss Guadeloupe Indira Ampiot - que les femmes de plus de 18 ans, sans limite maximum (contre 24 ans auparavant), peuvent concourir, y compris celles mariées et /ou ayant des enfants, jusqu’ici priées de rester au foyer. Les femmes trans peuvent aussi désormais se présenter à condition de présenter un «état civil féminin», avait précisé Alexia Laroche-Joubert. Les tatouages visibles sont aussi désormais tolérés. Fabienne El Khoury, porte-parole d’Osez le Féminisme réagit auprès de Libération : «Tout cela est loin d’être suffisant mais ce sont quelques avancées, de petites victoires qu’on a l’impression d’avoir arrachées même si le processus de recrutement discriminatoire continue».

«C’est une avancée d’avoir pu remettre en question ce concours»

Pas de révolution pour autant sur le parquet. Sur les 30 Miss ayant passé les sélections régionales, seules trois avaient 26 ans révolus et deux étaient tatouées. Aucune candidate n’était en revanche mère de famille. Une seule femme de 27 ans, mariée et mère d’un enfant, s’est présentée en Alsace sans réussir à être élue. Même constat pour Andréa Furet, première candidate trans, qui n’a pas passé le stade de deuxième dauphine à Miss Paris. Pour espérer fouler le parquet devant l’indétrônable Jean-Pierre Foucault, il faut également toujours mesurer 1,70 mètre minimum sous prétexte que les robes de créateurs ne sont pas conçues pour de petites tailles et être «représentatives de la beauté». Formulation aussi floue qu’excluante.

Refusant de voir cette décision des prud’hommes comme «une grosse défaite», la porte-parole d’Osez le Féminisme retient : «Une des victoires, au-delà des démarches judiciaires, est qu’on a lancé un débat, on a pu parler au grand public sur ce que ce symbolise le concours Miss France et poser enfin la question est-ce que c’est toujours pertinent en 2023 d’avoir un concours sexiste, déshumanisant ? C’est une avancée d’avoir pu remettre en question ce concours.»

Mise à jour : à 18h45 avec la réaction des sociétés Miss France et Endemol Production.