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Non-consentement dans la définition du viol : l’Assemblée nationale adopte une «première pierre dans le mur de l’impunité»

Violences sexuellesdossier
Malgré certaines réserves, la proposition de loi transpartisane, portée par Véronique Riotton et Marie-Charlotte Garin, a été adoptée mardi soir 1er avril peu avant minuit, à 161 voix pour et 56 contre. Le texte doit maintenant partir au Sénat.
Lors d'un rassemblement en soutien à Gisèle Pelicot à Paris, le 14 septembre 2024. (Valerie Dubois/Hans Lucas)
publié le 2 avril 2025 à 7h35

Enora fait partie des 94 % de femmes ayant vu leur plainte pour viol classée sans suite par la justice. Lors d’un rassemblement organisé, mardi 1er avril à Paris, par plusieurs organisations féministes (le Planning familial, la Fédération nationale des centres d’information sur les droits des femmes et des familles…) en amont de l’examen à l’Assemblée nationale de la proposition de loi visant à intégrer la notion de non-consentement à la définition du viol, elle proclame sur une pancarte : «Stop à l’impunité.» Cette artiste de 34 ans a suivi de près les débats agitant les milieux féministes et juridiques sur ce texte, mais veut croire en des avancées possibles. «J’espère que cette loi permettra de condamner davantage les agresseurs», anticipe-t-elle. Le texte, porté par Véronique Riotton (Ensemble pour la République) et Marie-Charlotte Garin (Les Ecologistes) au terme de seize mois de travaux parlementaires, a été adopté, mardi soir peu avant minuit, à 161 voix pour et 56 contre. «Je crois que ce soir, collectivement, nous avons acté que nous passions de la culture du viol à la culture du consentement», s’est félicitée Marie-Charlotte Garin en évoquant une «première pierre que nous lançons dans le mur de l’impunité».

«Changement de paradigme»

Ce vote consacre l’écriture suggérée par le Conseil d’Etat, dont l’avis, rendu début mars et ayant permis de remodeler le texte, a été particulièrement convoqué dans l’hémicycle : «Le consentement doit être libre et éclairé, spécifique, préalable et révocable. Il est apprécié au regard des circonstances environnantes» et il «ne peut se déduire du seul silence ou de la seule absence de résistance de la personne». Le viol est actuellement constitué lorsqu’un acte de pénétration est commis par «violence, contrainte, menace ou surprise». «Notre définition pénale du viol échoue dans ses trois grandes fonctions : dans sa fonction répressive car elle ne permet pas suffisamment de sanctionner les agresseurs […] ; dans sa fonction protectrice puisque les victimes ne sont pas correctement protégées […] ; dans sa fonction expressive car notre droit n’incarne plus les valeurs de notre société et ne rend pas compréhensible l’interdit, pourtant suprême, de jouir du corps d’autrui sans son accord», résume Véronique Riotton.

Les deux corapporteuses veulent croire à un «changement de paradigme», convoquant ceux déjà impulsés dans une dizaine de pays de l’Union européenne. Soutenu par le gouvernement depuis qu’Emmanuel Macron a opéré un virage radical sur le sujet le 8 mars 2024 – après s’y être fermement opposé dans le cadre d’une directive européenne –, ce texte atteste que «ce qui compte ce n’est pas ce que l’agresseur croit, c’est ce que la victime veut, et ça, c’est une révolution», appuie la ministre chargée de l’Egalité entre les femmes et les hommes, Aurore Bergé. Lui succédant au micro, le garde des Sceaux, Gérald Darmanin, les yeux rivés sur ses notes, embraye : «Le texte doit permettre à chacun, sans équivoque, de connaître la définition et les conséquences de ses actes. Le consentement ne se présume pas, il se cherche, se reçoit et se respecte.»

Ayant bénéficié d’un non-lieu après une accusation de viol, l’ancien locataire de la place Beauvau a vu l’affaire une nouvelle fois convoquée, dans le cadre d’un amendement de l’insoumise Sarah Legrain. Rejeté, il visait à réintroduire dans la proposition de loi que «l’absence de consentement peut être déduite de l’exploitation d’un état ou d’une situation de vulnérabilité temporaire ou permanente». Le Conseil d’Etat a invité à se contenter de la notion de «consentement éclairé», pour éviter une redondance avec des circonstances aggravantes. Tandis que le concerné s’est volatilisé, Sarah Legrain illustre : «Si un élu exige des relations sexuelles d’une ou plusieurs femmes en situation de grande vulnérabilité, qui lui demandent de l’aide pour se sortir d’un mauvais pas ou trouver un logement social, par exemple, […] je crois que la justice doit pouvoir évaluer s’il n’y a pas là l’exploitation d’une situation de vulnérabilité.»

«La première interrogée sera toujours la victime»

En écho aux réserves exprimées par certaines militantes féministes et juristes, la proposition de loi a suscité quelques inquiétudes chez les députés. «Le texte laissera à penser que le viol est une relation sexuelle qui tourne mal. Le viol n’a rien d’une relation sexuelle normale, c’est un crime de prédation», objecte Céline Thiébault-Martinez, députée PS. Estimant que la jurisprudence couvre déjà la majorité des situations de violences, y compris les cas de sidération, elle embraye : «Si certaines femmes seront encouragées à porter plainte, d’autres pourront douter, “mais en fait j’ai peut-être été consentante”. Et surtout, lors des enquêtes, la première interrogée sera toujours la victime : “Comment avez-vous exprimé votre consentement ? Etait-il verbal, non verbal, explicite, non explicite ?”»

Marie-Charlotte Garin veut au contraire croire que le texte remettra le mis en cause en première ligne. «En introduisant l’absence de consentement comme élément constitutif d’une infraction, on demande aux juges d’examiner ce qu’a fait le mis en cause. S’est-il assuré du consentement de la plaignante ? A-t-il profité d’une situation de vulnérabilité ? A-t-il usé de pression, d’emprise ?» défend la députée écologiste.

Instrumentalisation

Si certains groupes avaient laissé une liberté de vote comme les socialistes (9 ont voté contre), seuls les ciottistes de l’UDR et le Rassemblement national ont assumé une opposition de groupe. Ne reculant devant aucune instrumentalisation, Sophie Blanc (RN) ose, suscitant une bronca à gauche : «Cette inversion de la charge de la preuve est déjà à l’œuvre, y compris dans des affaires politiques, où l’on a vu Marine Le Pen devoir se défendre devant non pas contre des preuves établies mais contre une présomption de culpabilité fabriquée.»

Si cette modification législative parvient à son terme – le texte doit maintenant partir au Sénat –, elle ne serait en rien une «baguette magique», désamorce Marie-Charlotte Garin, en réclamant «plus de moyens pour la police, la justice, de formations» pour les professionnels. La ministre de l’Egalité assure avoir reçu ce message. Et rappelle que deux semaines plus tôt, une réunion a rassemblé le gouvernement et l’ensemble des groupes politiques en vue d’une loi-cadre pour lutter contre les violences faites aux femmes, réclamée par une coalition d’associations féministes – 140 propositions étaient formulées.