Menu
Libération
Lesbophobie

«On les a brûlées parce que lesbiennes» : en Argentine, émoi après l’attaque visant deux couples de femmes

LGBT +dossier
Trois femmes sont mortes et une autre a été blessée dans l’incendie criminel de l’appartement qu’elles partageaient à Buenos Aires. Un voisin qui les harcelait a été arrêté.
A Buenos Aires, le 8 mai, pendant une veillée devant la maison où trois lesbiennes ont été tuées et une autre blessée. (Juan Mabromata /AFP)
publié le 15 mai 2024 à 17h44

Trois femmes brûlées vives, une survivante : la haine lesbophobe a atteint des proportions tragiques à Buenos Aires, où les manifestations d’indignation se multiplient. La nuit du 5 au 6 mai, un cocktail Molotov était lancé dans un appartement où cohabitaient deux couples de femmes. Trois sont mortes dans les jours suivants. Deux avaient 52 ans, la troisième 43 ans. La dernière, 49 ans, a pu parler aux enquêteurs sur son lit d’hôpital.

Son témoignage et ceux des autres occupants de l’immeuble ont désigné un des voisins qui, depuis plusieurs mois, abreuvait d’insultes les deux couples : «monstres», «grosses crasseuses», «tortas» («gouines»). Le sexagénaire a été arrêté sur place, puis placé en détention. Lundi soir, après l’annonce du troisième décès, plusieurs centaines de personnes se sont rassemblées dans le quartier de Barracas pour crier leur colère.

«Crise du logement et discours de haine»

Le drame est survenu dans un immeuble décrit par les médias argentins comme un conventillo, l’habitat bon marché où s’entassaient les vagues de migrants venus d’Europe à partir des années 1870. Si certains conventillos ont été restaurés et transformés en lieux culturels ou touristiques, d’autres ont conservé leur fonction d’abri précaire. Pour le site d’information argentin Presentes, spécialisé dans les questions de diversité et de genre, le tragique incendie s’inscrit sur un double contexte «de crise du logement et de discours de haine».

Pamela, Mercedes, Andrea et Sofía vivaient de la vente ambulante de friandises ou de mouchoirs en papier. Après avoir connu la rue, elles avaient trouvé refuge dans une pièce unique au deuxième étage, la cuisine et les sanitaires étant collectifs. D’après Presentes, chaque logement était loué autour de 50 000 pesos par mois, soit 52 euros, après la dévaluation de 50 % de la devise nationale décidée en décembre par le président d’extrême droite Javier Milei. La somme peut paraître dérisoire mais elle est en rapport avec les revenus des vendeuses précaires.

Andrea Amarante, l’une des victimes, avait survécu, à 22 ans, à une autre tragédie : l’incendie, en décembre 2004 à Buenos Aires, de la discothèque República Cromañón, où avaient péri 194 personnes, rassemblées pour assister à un concert du groupe de rock Callejeros. Le lieu fonctionnait sans autorisation administrative, et sans le moindre respect des normes de sécurité.

Privée d’un «toit digne et sûr»

Le collectif des victimes a précisé dans un communiqué qu’Andrea n’avait jamais reçu la moindre indemnisation ni eu accès à une aide psychologique. Seuls 1 600 survivants, soit moins de la moitié des présents dans la salle, figurent dans le registre créé en 2005 par la ville de Buenos Aires. Le collectif se bat pour obtenir, vingt ans après le désastre, les mêmes droits pour l’ensemble des personnes affectées. «Si Andrea avait bénéficié de la Loi de réparation intégrale, elle aurait probablement eu l’opportunité d‘accéder à un toit digne et sûr», écrit le Coordinadora Cromañón.

Ni la police ni la justice n’ont commenté le contexte lesbophobe de l’attaque. Ce sont d’abord les organisations des communautés LGBTI + qui ont alerté sur ce crime de haine. Le ministère du Droit des femmes de la province de Buenos Aires (d’obédience péroniste, opposé au président ultralibéral) a dénoncé le triple homicide qui n’est «pas un cas isolé, mais s’inscrit dans des discours répétés de façon irresponsable par le gouvernement».

Arrivé au pouvoir en décembre, le gouvernement de Javier Milei a rapidement pris pour cible les collectifs féministes et les personnes qui militent pour de la diversité : il a supprimé le ministère du Droit des femmes, annoncé qu’il fermera l’Institut national contre les discriminations, et qu’il interdira le langage inclusif, dans l’administration nationale et même dans l’armée… où il n’est pas employé.

En tant que «libertarien», Milei a assuré pendant sa campagne, au nom de la «liberté du projet de vie», être favorable aux unions entre personnes de même sexe, légales en Argentine. Mais il s’est exprimé dans des termes ouvertement provocateurs et homophobes : un tel contrat «peut être à deux, trois ou à 50 si on veut», voire «avec un éléphant, s’il est consentant», avait-il lancé sur un plateau télé.

Bougies sur un autel improvisé

Sur l’avortement en revanche, Javier Milei oublie son credo libéral et reste décidé à abroger la loi votée en 2020. Il a défini ses partisans comme «les assassins au foulard vert», l’emblème de la mobilisation. Un projet de loi dans ce sens a été déposé par des députés de «La Liberté avance», le parti du président, en février. Une femme pratiquant l’IVG serait alors passible de 15 ans de prison, comme dans le Code pénal de 1921.

Lundi, lors de sa conférence de presse quotidienne, le porte-parole de la Casa Rosada (le siège de la présidence), Manuel Adorni, a réagi de façon plutôt désinvolte au crime de haine de Barracas : «Je trouve très injuste de parler de ce seul épisode alors que la violence est une chose beaucoup plus large qu’une simple question contre un collectif déterminé.»

Dans la soirée, sur une place du quartier, des bougies avaient été allumées sur un autel improvisé. «On les a brûlées parce que lesbiennes ; on les a brûlées parce que lesbiennes pauvres», a affirmé une oratrice. La précarité de leurs conditions de vie a en effet facilité le geste de l’agresseur qui a lancé la bouteille enflammée dans la pièce : la porte n’avait pas de verrou.