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Inégalité

PMA : l’interminable attente des femmes noires

Alors que le projet de loi bioéthique de retour à l’Assemblée nationale ce lundi se présente comme une ouverture de la PMA pour toutes, les femmes noires se sentent exclues d’un système où l’attente d’un don d’ovocytes peut prendre jusqu’à dix ans.
Plusieurs milliers de manifestantes ont défilé à Paris le 25 juin pour demander la PMA pour tout·e·s. (Albert Facelly/Libération)
par Fanny Ruz-Guindos-Artigue
publié le 7 juin 2021 à 8h15

«Je n’avais jamais questionné mon désir d’enfant», se souvient Sandrine Ngatchou Djeunda. En 2014, elle a 31 ans lorsque le sujet s’impose à elle. Après avoir souffert d’intenses douleurs dans le bas-ventre, elle consulte un médecin, qui lui annonce que ses deux trompes sont bouchées et que son utérus est polyfibromateux. Un an plus tard, on lui diagnostique des «ovaires d’une femme de 45 ans» qui l’empêchent de tomber enceinte spontanément ou de faire une FIV avec ses propres ovules. La jeune femme ne s’effondre pas. Seulement, elle ne sait pas encore qu’en tant que femme noire, ses chances de bénéficier rapidement d’un don d’ovocytes ne sont pas grandes. Envoyée au Centre d’étude et de conservation des œufs et du sperme humain (CECOS) de Schiltigheim dans le Bas-Rhin, le constat est sans appel : «Ils m’ont dit que je ne trouverai pas d’ovocytes ici parce que ça faisait plus de huit ans qu’on n’avait pas vu de donneuse noire».

Le centre applique le principe d’appariement qui consiste à rechercher une donneuse d’ovocytes aux phénotypes proches de la receveuse, à savoir des caractéristiques physiques comme la couleur de peau, de cheveux, des yeux et parfois un groupe sanguin similaires. Pour avoir un enfant qui leur ressemble, les femmes non-blanches attendent ainsi trois à dix ans avant de bénéficier d’un don d’ovocytes – contre deux ans en moyenne pour les femmes blanches, selon l’Agence de biomédecine.

Pénurie de donneuses noires

Avec 5 000 couples touchés par l’infertilité qui sollicitent un don d’ovocytes ou de spermatozoïdes chaque année, l’offre se fait rare. Encore plus rare pour le don d’ovocytes, qui requiert une stimulation ovarienne et une ponction. Plus encore pour les gamètes de phénotypes noirs. «Nos communautés souffrent notamment d’un défaut d’information, qui fait qu’elles ne se mobilisent pas assez pour le don», analyse Sandrine Ngatchou Djeuna, qui est franco-camerounaise.

La jeune femme repense avec rage aux mots durs prononcés par son compagnon. «Tu n’es qu’un arbre sans fruits», lui assène-t-il. Dans son entourage, l’infertilité est perçue comme une punition. Le couple se rend tout de même en Belgique. Sandrine se dit alors prête à accepter des ovocytes de donneuses caucasiennes. Mais son conjoint refuse. «Avec un métis, il n’aurait pu cacher l’infertilité de sa femme, et donc sa honte.» Son conjoint devient alors de plus en plus violent envers elle, verbalement mais aussi physiquement. Le couple se sépare. Quelques mois plus tard, elle sillonne le Portugal avec un nouveau compagnon, et bénéficie d’ovocytes d’une femme noire, mais cette grossesse se solde par une fausse couche. Elle rejoint ensuite l’Ukraine où elle se décide à accepter des ovocytes de femmes blanches, tombe enceinte deux fois, mais ses grossesses se terminent là aussi par des fausses couches.

La question de l’enfant métis

Didi* et elle partagent un parcours semé d’embûches. En 2016, à 25 ans, cette Sénégalaise tout juste arrivée en France croit être enceinte, car elle ne voit pas ses règles arriver. Mais les analyses indiquent qu’elle souffre plutôt d’une insuffisance ovarienne. Avec son mari, elle est dirigée vers un CECOS, où les soignants la préviennent qu’elle risque d’attendre jusqu’à dix ans pour un don. Sur leurs conseils, elle décide de tenter sa chance à l’étranger. La jeune femme s’épuise au travail pour financer son intervention en Espagne, où les dons sont plus nombreux et divers car rémunérés. Plus de 10 000 euros s’envolent sans qu’elle ne tombe enceinte. «Je l’ai très mal vécu, j’y pensais nuit et jour. Mes amies m’annonçaient leur grossesse au téléphone, ça me faisait mal au cœur.»

Certains médecins ont opposé leur clause de conscience afin de refuser le don d’ovocytes de phénotype blanc à un couple mixte, présumant que l’enfant pourrait être victime de racisme anti-blanc dans sa famille noire

Aujourd’hui âgée de 30 ans, Didi garde l’espoir de tomber enceinte, mais redoute le temps qui passe. «Avec cette pénurie, on est obligés de conseiller aux femmes non-blanches de penser au don d’ovocytes avant leurs 35 ans, alors même qu’elles sont encore en phase de stimulation de fertilité pour tomber enceinte avec leurs propres gamètes», regrette Michaël Grynberg, gynécologue spécialiste de la préservation de la fertilité. «La PMA est autorisée jusqu’à 43 ans. Or, si une femme commence son parcours à 35 ans et qu’elle doit attendre 8 ans pour un don, c’est déjà foutu pour elle», explicite Frédéric Letellier, président de l’association Dons de gamètes solidaires.

Dans ce contexte, Didi serait-elle prête à recevoir un don de femme blanche ? Avec son compagnon, ils n’ont pas encore envisagé d’avoir un enfant métis. Si ce choix revient légalement au couple, certains CECOS s’arrogent le droit de décider à la place des patients. «Certains médecins ont opposé leur clause de conscience afin de refuser le don d’ovocytes de phénotype blanc à un couple mixte où la femme était d’origine africaine et l’homme caucasien, présumant que l’enfant pourrait être victime de racisme anti-blanc dans sa famille noire», dénonce Frédéric Letellier. En novembre dernier, sur le plateau d’une chaîne de télévision locale à Tours, une endocrinologue tentait de justifier cette décision, craignant que «l’enfant tout blanc retourne en Afrique dans sa famille» et ne reçoive pas un «accueil chaleureux».

«Le problème, c’est que sans cadre, les CECOS interprètent les textes comme ils veulent», déplore Michaël Grynberg. L’appariement a en effet été supprimé du projet de loi bioéthique en février par le Sénat, et il n’est pas prévu qu’il soit réintégré en nouvelle lecture à l’Assemblée.

Violence misogyne et raciste

De son côté, Sandrine, dégoûtée par la pénurie d’ovocytes en France, le business du don de gamètes à l’étranger et le marché de l’adoption internationale, a abandonné sa lutte pour accueillir un enfant, mais a fait naître un nouveau projet. Avec sa chaîne YouTube Ovocyte-Moi lancée en 2016 et son association Utasa, elle informe et soutient les afro-descendants en situation d’infertilité. Un travail marqué par la violence misogyne et raciste. «Quand je tractais, les hommes me promettaient un coup de bite pour me mettre enceinte, les femmes me fuyaient et m’insultaient, se remémore-t-elle. Pourtant dans les couloirs des hôpitaux, j’ai vu des femmes noires, comme moi, pourquoi ne parlaient-elles pas ?»

Didi et son mari comptent «se battre jusqu’à la fin». En attendant, le couple rembourse le prêt contracté pour les essais en Espagne de 8 000 euros.

À la croisée des discriminations, les femmes noires et lesbiennes n’ont pas fini de se battre. Pierrette Pyram, présidente de l’association DiivinesLGBTQI+, qui représente la communauté LGBTQI + afro-caribéenne, dénonce cette double peine : lorsque les femmes lesbiennes et noires (mais c’est aussi le cas des femmes célibataires et noires), auront gagné le droit de recourir à la PMA, elles devront faire face à la pénurie de gamètes.

Pour sensibiliser au don, les associations réclament des campagnes ciblées, mettant en scène des couples noirs, maghrébins et asiatiques. En janvier, l’Agence de biomédecine a bien lancé une campagne avec la réalisatrice Amandine Gay, passée inaperçue. Sandrine Ngatchou Djeunda, qui a développé une véritable expertise sur le sujet, considère que «la médecine ne peut pas tout». «C’est aux communautés noires de se défaire des préjugés sur l’infertilité. Nous devons aussi prendre nos responsabilités.»

* Le prénom a été modifié, à sa demande.