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Libération
Décryptage

Quatre questions autour de l’intégration du consentement dans la définition pénale du viol, soutenue par Didier Migaud

Le nouveau ministre de la Justice a annoncé ce vendredi 27 septembre être favorable à l’idée de faire évoluer la définition du viol en droit français en y intégrant la notion de consentement. Un combat que mènent depuis plusieurs années les associations, qui jugent la loi actuelle trop restrictive.
Emmanuel Macron, entouré du ministre de la Justice, Didier Migaud, et de Bruno Retailleau, ministre de l'Intérieur, à l'Elysée, le 23 septembre. (Christophe Ena/AP)
publié le 27 septembre 2024 à 19h33

Dans le cadre du procès des viols de Mazan, l’absence de consentement de la victime, Gisèle Pelicot, est au cœur de chacun des interrogatoires des accusés. Le terme est également mobilisé par les avocats de la défense. L’un d’eux est même allé jusqu’à affirmer, dans une salle sous le choc, qu’il «y a viol et viol et, sans intention de le commettre, il n’y a pas viol». En marge de ce procès qui passionne au-delà de l’Hexagone, le débat sur la redéfinition du viol dans le Code pénal, pour que soit prise en compte l’absence de consentement, a alors ressurgi. Interrogé ce vendredi au micro de France Inter, le nouveau ministre de la Justice, Didier Migaud, s’est dit favorable à l’idée de faire évoluer la définition du viol en droit français en y intégrant la notion de consentement. Libé fait le point sur ce que changerait cette nouvelle qualification juridique.

Que dit la loi sur le viol ?

A l’heure actuelle, l’article 222-23 du Code pénal définit le viol comme «tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu’il soit, ou tout acte bucco-génital commis sur la personne d’autrui ou sur la personne de l’auteur par violence, contrainte, menace ou surprise». Aucune mention n’est faite de la notion de «consentement». Ainsi, «tout ce qui ne rentre pas dans ces quatre composantes n’est pas considéré comme un viol, explique la magistrate Magali Lafourcade. Et cela repose sur un double préjugé : les victimes ne connaissent pas leur violeur, et elles doivent remplir plusieurs cases afin d’être vraiment considérées comme victimes». L’absence du terme de «consentement» représente alors selon elle «une brèche juridique» que les auteurs peuvent «exploiter».

Or, depuis la ratification par la France de la convention d’Istanbul en 2011 – qui vise à instaurer un cadre juridique complet protégeant les femmes contre toutes les formes de violence – Paris est, dans les faits, «censé introduire cette notion dans le cadre juridique du viol», fait savoir Lola Schulmann, chargée de plaidoyer pour Amnesty International. L’article 36 de cette convention prévoit en effet que les signataires de celle-ci «prennent les mesures législatives ou autres nécessaires pour ériger en infraction pénale» tous les actes à caractère sexuel «non consentis».

Mais depuis des années, et malgré des «rappels à l’ordre réguliers», la France «n’a pas encore transposé cette convention dans son Code pénal, à l’inverse de la majorité des pays européens», explique la spécialiste. Et d’ajouter : «Dix-sept Etats européens ont modifié leur Code pénal pour introduire la notion de consentement. Il y a une vraie dynamique que la France doit suivre, car aujourd’hui elle est le pays avec la définition du viol la plus rétrograde en Europe.»

En Suède, une loi sur le consentement sexuel, qui considère comme viol tout acte sexuel sans accord explicite, même en l’absence de menace ou de violence, est en vigueur depuis 2018. En Espagne, une loi a introduit depuis octobre 2022 l’obligation d’un consentement sexuel explicite. Même évolution en Grèce ou encore au Danemark.

Qu’est-ce que changerait l’introduction de la notion de consentement ?

Il est urgent de «changer de paradigme», estime Magali Lafourcade, et de «plutôt poser l’auteur des faits au centre de l’enquête, et non la victime». Une inversion des rôles qui, juge-t-elle, dépend de l’introduction de cette même notion rigoureuse de consentement dans la loi. Une «révolution» qui permettrait ainsi de «rechercher ce qu’il s’est vraiment passé autour du rapport sexuel, de la personnalité de chacun, et de la façon dont l’auteur s’est assuré ou non du consentement de la plaignante». Lola Schulmann abonde qu’il s’agirait en outre d’une manière «de faire connaître auprès des jeunes la notion de consentement, et d’admettre qu’elle est indissociable de la notion de viol».

Introduire le consentement aux côtés des quatre autres composantes conduirait également «à un véritable débat dans la société», promeut la sénatrice écologiste Mélanie Vogel, autrice d’une proposition de loi en ce sens en 2023. En l’état actuel des choses, «le Code pénal dispose que, jusqu’à preuve du contraire, le corps des femmes est disponible, avance-t-elle. Cette modification permettrait de mettre la question du consentement au cœur des enquêtes, alors qu’elle est aujourd’hui implicite. Cela changerait la manière dont sont conduites les investigations : l’absence de consentement suffirait à prouver un viol, même si la violence, la contrainte, la menace et la surprise ne sont pas démontrées», poursuit la sénatrice, qui annonce d’ailleurs à Libé avoir demandé à rencontrer le nouveau garde des Sceaux.

Pourquoi maintenant ?

La prise de parole du ministre de la Justice intervient au moment où les audiences du tribunal de Mazan mettent en lumière cette urgence à faire évoluer la législation. «Ce procès suscite des prises de conscience, car tout ce que réclament les féministes depuis des années éclate en ce moment aux yeux du public», soutient Catherine Le Magueresse, ancienne présidente de l’Association européenne contre les violences faites aux femmes au travail (AVFT). Elle ajoute : «L’idée ne sera plus que les femmes doivent résister, mais plutôt que les hommes doivent s’assurer de leur consentement. C’est un changement profond de notre manière de penser.»

Et alors que l’affaire Mazan passionne la presse étrangère et la presse française, «les politiques sont eux restés silencieux» remarque la magistrate Magali Lafourcade. «Ils se sont dit que c’était peut-être le moment d’en parler. Car grâce à l’ajout de la notion de consentement, nous disposerions d’un élément répressif qui ferait reculer le phénomène, et qui ferait diminuer le risque de récidive», insiste-t-elle.

Quelles ont été les précédentes avancées politiques sur ce sujet ?

Avant cette sortie du nouveau garde des Sceaux, Emmanuel Macron s’était de son côté dit, en mars dernier, favorable à une évolution de la définition du viol. Le chef de l’Etat avait par la suite souhaité qu’une proposition de texte puisse voir le jour «d’ici la fin de l’année». Une perspective maintenant devenue incertaine avec l’annonce surprise de la dissolution de l’Assemblée nationale début juin. A l’inverse, Eric Dupond-Moretti avait lui mis en garde contre le risque de «glissement vers une contractualisation des relations sexuelles», appelant à la prudence sur le sujet.

L’annonce du chef de l’Etat entrait pourtant en contradiction avec sa position au niveau européenne. La France s’est en effet récemment opposée à une définition européenne du viol fondée sur l’absence de consentement, lors des discussions à Bruxelles sur la première directive européenne portant sur les violences faites aux femmes. Paris estimait notamment que le viol n’avait pas la dimension transfrontalière nécessaire pour être considéré comme un eurocrime et ne devait donc pas être intégrée dans cette directive. «Avec son refus, la France a empêché tous les autres pays de l’Union de faire évoluer leur définition du viol. Ça a été un vrai loupé», regrette Lola Schulmann.

Du côté du parlement, la sénatrice Mélanie Vogel s’était elle aussi penchée sur la question en novembre 2023. «Dans ma proposition de loi, les quatre critères actuels de la définition du viol restent en place et nous y ajoutons comme critère la notion de consentement. Nous n’effaçons pas ce qui est dans le Code pénal, on vient l’enrichir», précise-t-elle. L’écologiste déplore toutefois l’opposition de certaines associations féministes qui s’opposent à l’évolution de la loi, considérant que «la charge de la preuve allait encore davantage peser sur la victime». Des réticences qu’elle espère résoudre «à la lumière du contexte actuel» et grâce aux soutiens des parlementaires, mais aussi du ministre de la Justice.