Sur les réseaux sociaux, Timothy G., 18 ans, ne cachait rien de ses projets et de sa manifestation. Le jeune homme, arrêté dans la région de Saint-Etienne ce mercredi 2 juillet et mis en examen dans la foulée par le Parquet national antiterroriste (Pnat), souhaitait tuer une autre élève, pour défendre l’un de ses amis qu’elle aurait traité de violeur. Dans ses messages publiés sur Internet, le lycéen faisait référence aux actes de tueurs «incels». Cette abréviation anglophone de «célibataires involontaires» désigne les hommes qui nourrissent une haine à l’égard des femmes, qu’ils expliquent par le peu de succès qu’ils rencontrent à leur égard. Les «incels», renvoient ainsi à une branche du mouvement masculiniste connue pour ses appels à la haine et à la violence envers les femmes qui ont parfois débouché sur des passages à l’acte meurtriers. Explications.
De quoi parle-t-on ?
«Incel» - expression née de la contraction de «Involuntary celibate», pour «célibataire involontaire» - est une mouvance qui s’est développée sur internet ces dernières décennies. Ses membres y revendiquent ouvertement la haine des femmes, qu’ils jugent responsables de leur insatisfaction sexuelle.
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«Ce sont des hommes, majoritairement jeunes et hétérosexuels, qui se croient incapables d’établir des relations et accusent souvent la société – et les femmes en particulier – de leur manque d’expériences sexuelles ou amoureuses», souligne le Center for Countering Digital Hate (CCDH), le Centre contre la haine en ligne, basé à Londres et Washington. «Ils pensent que les femmes ne les trouvent pas séduisants et qu’elles ne s’intéressent qu’aux beaux «mâles alpha» (également appelés Chads)», complète le Réseau de sensibilisation à la radicalisation (RAW) de la Commission européenne dans un rapport publié en 2021.
Présents sur les réseaux et forums communautaires Reddit, 4chan ou encore TikTok, les «incels» sont notamment convaincus de l’existence d’une règle : celle du «80 /20». Selon cette dernière, 20 % des hommes les plus attirants monopolisent 80 % des femmes, rendant selon eux la tâche plus ardue pour les 80 % d’hommes restants.
Quel mode d’action ?
En ligne, la mouvance incel propage une idéologie ouvertement misogyne et violente. Dans une étude portant sur plus d’un million de messages publiés de janvier 2021 et juillet 2022, le CCDH notait une hausse de 59 % de l’utilisation de termes et de mots de code relatifs à des actes de violence de masse. Il relevait en outre une mention de viol toutes les 29 minutes.
Au-delà des forums, certains vont jusqu’à passer à l’acte. En avril 2018, un homme, Alek Minassian, se revendiquant de cette mouvance tue 11 personnes, principalement des femmes, lors d’une attaque au camion-bélier à Toronto (Canada). Quatre ans avant, en 2014, un Américain, Elliot Rodger, qui avait proclamé sa haine de la société et des femmes, tue six personnes, dont trois femmes, en 2014 en Californie, avant de se suicider. En 2021, Jake Davidson tue cinq femmes à Plymouth, au Royaume-Uni, avant de mettre fin à ses jours.
Pour Pauline Ferrari, autrice du livre «Formés à la haine des femmes» (Lattès, 2023), si pendant longtemps «les masculinistes étaient vus comme un groupe de personnes frustrées et misogynes qui restaient sur leur ordinateur, il s’avère rapidement que leur existence n’est pas limitée à la sphère numérique». Les actions violentes de 2014 et de 2018 «ont servi de modèle pour énormément de membres de ces communautés masculinistes», soulignait-elle dans le rapport «Contrer les discours masculinistes en ligne» publié en 2023 par l’association féministe Equipop et l’Institut du Genre en Géopolitique (IGG).
Quelle réaction des États ?
Dans certains pays, la menace de ces mouvements a été prise au sérieux. En 2022, le National Threat Assessment Center (NTAC) de services secrets américains a estimé que «l’extrémisme misogyne» constituait une menace croissante dans le pays. En Grande-Bretagne, le service de renseignement intérieur, le MI5, a mis en garde contre les liens noués entre les «incels» et d’autres mouvements conspirationnistes violents.
En France, les choses évoluent également. Une source judiciaire avait expliqué fin 2023 à l’AFP que le parquet national antiterroriste (Pnat) avait pendant longtemps refusé de se saisir d’affaires liées à ce mouvement, pensant «que ces projets de tuerie de masse n’étaient pas pour lui». Un an et demi plus tard, il a mis en examen, mardi, un lycéen de 18 ans - la première saisie du Pnat concernant une personne se revendiquant exclusivement «incel» selon une source proche du dossier.
Sur le volet prévention, Londres et Paris ont récemment annoncé leur intention de diffuser dans les établissements scolaires la mini-série Netflix «Adolescence», qui traite des ravages des contenus masculinistes des réseaux sociaux sur les plus jeunes.