Cela aurait quasiment dû passer comme une lettre à la poste – malgré le «oui» du bout des lèvres d’une partie de la droite sénatoriale. Pourtant, dans la nuit de mercredi à jeudi, au terme de deux jours de débats confus voire chahutés, le Sénat a adopté en deuxième lecture une version passablement amoindrie du projet de loi bioéthique, notamment après l’avoir expurgé de sa mesure phare : l’élargissement de la procréation médicalement assistée (PMA) aux couples de femmes et aux femmes célibataires. La veille, la majorité de droite et du centre, qui contrôle l’hémicycle de la Chambre haute, après avoir restreint l’extension des droits procréatifs aux seuls couples lesbiens, s’était en effet offusquée de l’adoption surprise d’un amendement autorisant la PMA «post-portem».
En réaction, la droite sénatoriale a alors rejeté l’article 1er du texte de révision des lois bioéthiques – celui sur la PMA – ainsi que l’autoconservation pour les femmes de leurs ovocytes sans raison médicale, provoquant en retour l’indignation des groupes affiliés à la gauche ou LREM, qui ont finalement voté contre le projet de loi mercredi soir. Un «gâchis» et un «naufrage», pour le sénateur apparenté socialiste, Bernard Jomier, l’un des corapporteurs, qui voit dans cet épisode parlementaire la marque d’une «posture politique» de LR, à près d’un an de la présidentielle.
La gauche sénatoriale a finalement voté contre le projet de loi bioéthique en deuxième lecture. Pourquoi ?
Pour une raison très simple : le texte mis au vote mercredi soir ne comportait plus l’ouverture de la PMA aux couples de femmes et aux femmes seules. A partir du moment où la majorité sénatoriale a rayé d’un trait de plume une réforme qu’elle avait pourtant approuvée sur le principe, la question ne se posait pas. C’était une ligne rouge.
Comment analysez-vous ce retournement de situation, un an après le vote favorable du Sénat ?
Cela tient très certainement du contexte. C’est-à-dire à une droite sénatoriale plus préoccupée par la préparation de la présidentielle l’an prochain que par le respect du droit des femmes. Je constate que le président du groupe LR, Bruno Retailleau, a mené ses troupes sur les positions de la «Manif pour tous», et leur relative modération lors de la première lecture du texte – qui ne nous satisfaisait pas –, a été battue en brèche. Ainsi, Bruno Retailleau a signifié à Gérard Larcher qu’il plaçait ses ambitions présidentielles au-dessus des débats du Sénat. Et la ligne réactionnaire l’a emporté. Non sans division.
Pour vous, c’est une tentative de sabotage de la part de la droite ?
Le groupe LR a été fracturé par son président, incapable de mener les débats sur le fond. Déjà, les discussions ont débuté sur un amendement qui réaffirmait qu’il n’existe pas de «droit à l’enfant». Cela visait à caricaturer le débat et cela disait bien qu’elles étaient les intentions du groupe LR, avant même que l’on examine l’ouverture de la PMA à toutes les femmes. Il s’agissait pour eux de marquer une posture politique en direction de l’électorat le plus conservateur. L’autorisation de la PMA «post-portem», qui a une portée symbolique et ne concerne que très peu de femmes par an, a servi de prétexte. Quand le Parlement légifère de cette façon, cela conduit forcément à un naufrage. Sur le fond comme sur la forme.
J’imagine que vous êtes déçu par la tournure des débats…
Oui, parce que la loi bioéthique comportait cette réforme sociétale mais aussi beaucoup de points relatifs à la recherche. Et sur ces sujets, la droite était absolument en décalage avec les enjeux actuels. Dans l’hémicycle, on a entendu les sénateurs LR qualifier nos chercheurs d’«apprentis sorciers». Je veux juste rappeler que les vaccins à ARN messager mis au point avec une efficacité remarquable contre le Covid-19 montrent l’intérêt de toute cette recherche sur le génome. Après, il ne faut pas s’étonner qu’une scientifique comme Emmanuelle Charpentier, distinguée du Nobel de chimie l’année dernière pour avoir mis au point une technique de modification du génome appelé Crispr-Cas9, soit partie à l’étranger. C’est absolument pathétique. La droite a un problème sérieux avec le XXIe siècle : elle aborde tous les sujets avec la peur, le risque de dérive, et il faudrait tout interdire. Certes, l’époque est difficile mais les promesses de progrès peuvent exister sans remettre en cause les valeurs fondamentales de la bioéthique.
Peut-on être confiant quant à l’élargissement de la PMA à toutes les femmes à l’issue de la navette parlementaire ?
L’Assemblée nationale adoptera le texte in fine, mais quel gâchis ! Le Sénat est quand même une assemblée qui démontre régulièrement sa capacité de réflexion et d’enrichissement des textes, car elle est plus éloignée des enjeux politiciens immédiats. Avec cette posture, c’est dramatique, mais la droite sénatoriale sape l’image du Sénat. Et alors même que sur la PMA «post mortem» il y avait eu le vote favorable d’un amendement favorable, après des débats très tranquilles. Cela montrait que les discussions pouvaient être intéressantes et que l’Assemblée nationale pourrait bénéficier de nos apports. Ce ne sera pas le cas.