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Violences vicariantes : l’Espagne veut se doter d’une loi pour protéger les victimes collatérales de violences conjugales

Le gouvernement espagnol a approuvé un avant-projet de loi contre ce type de violences faites aux femmes «par procuration», en s’en prenant notamment à leurs enfants. Ce texte en ferait un délit à part, à l’heure où cette notion reste méconnue en France.

Depuis deux décennies, l'Espagne s'est dotée d'une loi dite «de protection intégrale» contre la violence de genre. (Fermin Rodriguez/NurPhoto. AFP)
Publié le 06/10/2025 à 18h38

Enfants, frères et sœurs, nouveaux partenaires… Les proches des femmes victimes de violences conjugales pourraient être reconnus par la loi espagnole comme victimes de «violences vicariantes». Le terme qualifie des agissements de violence par procuration sur l’entourage d’une femme, par son partenaire ou ex-partenaire. Ils s’inscrivent dans un continuum de violences, allant d’actes maltraitants quotidiens à l’infanticide. Mardi 30 septembre, le gouvernement espagnol a adopté un avant-projet de loi visant à inclure les violences vicariantes comme un délit à part entière dans le Code pénal, avec une circonstance aggravante de genre. Soit une nouvelle étape dans l’arsenal juridique espagnol contre les violences faites aux femmes et aux enfants.

Depuis les premières statistiques sur le sujet, en 2013, 65 enfants ont été assassinés en Espagne dans le cadre de violences conjugales et vicariantes, dont neuf en 2024. «C’est la femme qui subit le préjudice, et le préjudice est causé par l’intermédiaire de tiers, par procuration. L’agresseur sait qu’en blessant et en assassinant les enfants, la femme ne s’en remettra jamais. C’est la forme ultime de préjudice», développe dans ses écrits Sonia Vaccaro, psychologue argentine qui a théorisé le concept en 2012. Une violence «qui ne fait pour l’instant pas partie de l’ordre juridique», et dont la ministre espagnole en charge de l’Egalité, Ana Redondo, a déclaré qu’il était «indispensable de la qualifier, de l’y incorporer et de la définir».

Pour être effective, la réforme doit encore être adoptée par le Parlement espagnol. Le texte prévoit des peines d’emprisonnement de six mois et un jour à trois ans, auxquelles s’ajouterait l’interdiction de porter des armes pendant trois à cinq ans. Le projet de législation introduit aussi une sanction interdisant à l’agresseur de publier des informations ou documents susceptibles de causer davantage de douleur à la victime.

La France encore à la traîne

En France, les violences vicariantes sont encore peu connues du grand public, même si la notion commence à s’imposer dans les cercles militants féministes. En juillet 2024, après qu’un père a défenestré ses deux enfants à la suite d’une dispute avec sa compagne, un collectif «engagé contre les violences faites aux enfants et les violences conjugales» avait publié une tribune dans Libération, réunissant plus de 500 signataires. «En France, pays des droits de l’homme, un enfant est tué tous les cinq jours par l’un de ses parents et une femme est tuée par son conjoint ou ex-conjoint tous les trois jours. En France, pays des droits de l’homme, 220 000 femmes déclarent chaque année être victimes de violences conjugales et 400 000 enfants en sont co-victimes», dénonçaient les auteurs de la tribune.

Selon les derniers chiffres du ministère de l’Intérieur, pour l’année 2023, neuf enfants ont été tués dans un contexte de violences conjugales (dont sept mineurs tués concomitamment à l’homicide de l’un de ses parents) et douze l’année précédente (dont huit infanticides en même temps que l’un des parents). La doctorante en sociologie spécialiste des violences de genre Gwenola Sueur estime qu’entre 2006 et 2021, 222 enfants au total ont été tués dans ces circonstances.

En France, c’est la notion de «contrôle coercitif» – dont découlent les violences vicariantes – qui commence tout juste à émerger dans le champ juridique et le débat public. Théorisé en 2007 par le sociologue Evan Stark, le contrôle coercitif est décrit comme un «schéma de violences masculines visant à étendre une domination dans le temps et l’espace social, en dégradant l’autonomie des femmes, en les isolant et en infiltrant le moindre aspect de leur vie, y compris les plus intimes». En exemple de ce contrôle sont souvent cités des agissements du quotidien, comparables aux mécanismes des violences vicariantes, comme le fait pour un homme de confisquer le téléphone de sa compagne ou de contrôler sa tenue. En février 2025, les députés ont adopté en première lecture son introduction dans le Code pénal ; une avancée jugée encore trop légère par certains.