Quelques minutes après le vote conforme du Sénat pour inscrire «la liberté garantie» des femmes de recourir à une IVG, une foule converge vers la salle des conférences. Les yeux sont humides, les applaudissements résonnent sous les ors du Palais du Luxembourg en ce mercredi 28 février. Mélanie Vogel, sénatrice écolo ayant porté l’une des six propositions de loi constitutionnelles déposée en juin 2022 et actrice majeure des négociations parlementaires sur cette révision, fait partie des personnes acclamées. «Même ceux qui étaient favorables se disaient au début que ça n’allait pas marcher. Ils se disaient que jamais le Sénat, cette chambre conservatrice, ne voterait pour quelque chose qui est révolutionnaire dans le monde […] C’est historique», se remémore-t-elle, émue. Et l’élue EELV d’ajouter : «C’est aussi un message magnifique et extrêmement puissant qu’on envoie au monde entier».
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Si une majorité des trois cinquièmes des parlementaires réunies en Congrès à Versailles lundi 4 mars doit encore confirmer le consensus des deux chambres, après l’adoption à l’Assemblée nationale en janvier, ce vote des sénateurs prend l’allure d’un point final tant la marche était la plus haute à franchir. «C’est un vote très large, avec seulement 50 voix contre et 267 pour. On ne s’attendait pas du tout à un résultat aussi large. On était très confiants, mais j’avoue que c’est encore bien au-delà de nos espérances. Je pense que c’est la démonstration qu’on a définitivement sur ce sujet, en tout cas, remporté la bataille culturelle», savoure Mélanie Vogel.
Exprimant sa «fierté», la sénatrice PS Laurence Rossignol mesure le chemin parcouru : «Quand on relie les débats de la loi Veil et qu’on voit le débat qu’on a eu aujourd’hui, on peut se dire que notre pays a quand même beaucoup progressé au cours de ces presque 50 dernières années.» La socialiste insiste aussi sur la nécessité pour la France de «servir d’exemple». «La limite à mon bonheur, c’est le reste du monde. Toutes les neuf minutes, une femme meurt d’un avortement clandestin sur la planète», tempère-t-elle.
Les féministes acclamées
Les autres femmes acclamées de l’hémicycle jusqu’à cette salle du palais du Luxembourg sont les militantes féministes, à la manœuvre depuis des décennies pour parvenir à une protection constitutionnelle de ce droit fondamental. «Dès le lendemain de 1975 [et l’adoption de la loi Veil, ndlr], les féministes ont commencé à se battre pour l’inscription dans la Constitution», avait rappelé en conférence de presse, en amont de l’examen, la présidente du Planning familial Sarah Durocher. A la sortie de l’hémicycle, elle complète : «C’est une bataille qui a été hyper collective et engagée. Ce n’est pas juste les associations qui se sont mobilisées, c’est une grande partie de la population. On a gagné là-dessus dans un contexte politique difficile avec la montée des extrêmes, d’une droite conservatrice, des antichoix et des attaques envers nous. Aujourd’hui, ce vote-là donne raison à ce combat.» Réagissant à l’opposition faite par certaines parlementaires entre une effectivité du droit à renforcer et cette constitutionnalisation, elle rétorque : «C’est un continuum de bataille, ça ne s’oppose pas.»
Dans les couloirs du Sénat, Floriane Volt, directrice des affaires publiques et juridiques de la Fondation des femmes, salue également cette «opportunité historique», et y voit la «preuve que le Sénat et les sénateurs ont su entendre l’appel des Françaises et des Français.» Alors que la séquence polémique de Cnew, où les avortements sont pointés comme la première cause de la mortalité dans le monde, a été citée à de nombreuses reprises dans l’hémicycle, Floriane Volt martèle : «Le droit à l’avortement est menacé. Il est menacé politiquement, menacé juridiquement. Il y a eu des discours qui montraient cette menace forte. Les plannings familiaux sont attaqués dans leurs locaux mais en même temps les Français sont très attachés à ce droit.» Prenant l’exemple des Etats-Unis mais aussi celui de l’Argentine, où l’avortement est menacé quatre ans seulement après été accordé, elle poursuit : «Quand on voit la vitesse à laquelle ce droit peut reculer, il peut y avoir des renversements spectaculaires dans le monde, […] On ne peut que se satisfaire de cette protection supplémentaire.»
«Pour nos mères. Pour nos filles»
Malgré ses longs atermoiements avant de reprendre en main ce projet de loi - et donc d’éviter la tenue d’un référendum -, le gouvernement n’a pas manqué de donner dans l’autosatisfaction. «Je me suis engagé à rendre irréversible la liberté des femmes de recourir à l’IVG en l’inscrivant dans la Constitution. Après l’Assemblée nationale, le Sénat fait un pas décisif dont je me félicite», a salué Emmanuel Macron sur X (ex-Twitter) après le vote. Sur le même réseau social, le Premier ministre Gabriel Attal a renchéri : «Il y a des jours qui marquent l’histoire politique et parlementaire de notre pays.»
La ministre chargée de l’Egalité femmes hommes, Aurore Bergé, qui avait porté en tant que cheffe du groupe Renaissance à l’Assemblée nationale, l’une des propositions de loi constitutionnelle, se projette déjà sur la prochaine étape du combat : «Pour nos mères. Pour nos filles. On y est ! Le Sénat a dit oui ! Rendez-vous lundi au Congrès pour inscrire l’IVG dans notre Constitution !»