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Libération
50 ans, 50 combats

Du Kosovo à la Méditerranée, «Libé» avec les migrants

Migrants, l'hécatombedossier
Accueillir et dénoncer l’indifférence : depuis que la question migratoire a réveillé les crispations, le journal a dénoncé avec force la frilosité de la France et de l’Europe, notamment depuis 2015 et l’afflux d’exilés sur des bateaux de fortune.
publié le 4 novembre 2023 à 7h18

Quand il est question d’immigration, Libération a toujours pris le parti de l’accueil. Ce fut le cas dès 1985 où la politique d’attribution des visas et les accords Schengen questionnaient déjà nos politiques en la matière. En 1986, où le journal dénonçait en une «le premier charter d’Air Pasqua» qui expulsait des Maliens hors de France. Mais ce furent surtout les conflits majeurs à nos frontières, entraînant des mouvements de population importants, qui ont le plus souvent amené le sujet dans nos colonnes. L’un des premiers cris d’alerte de Libération date du 5 avril 1999. Les combats entre l’armée yougoslave et l’Armée de libération du Kosovo poussent alors des centaines de milliers de personnes à fuir mais la France ne se propose pas vraiment en tant que destination d’accueil. Le journal titre alors «Otan : SOS Réfugiés» et regrette : «120 000 Albanais du Kosovo vont être accueillis aux Etats-Unis et en Europe mais pas en France.» Le lendemain, Libération enfonce le clou, toujours en une : «L’indéfendable exception française», écrivait-on. Vingt-trois ans plus tard, en mars 2022, les mêmes questions s’affichaient sur la première page. Elles concernaient cette fois les Ukrainiens, poussés à fuir par les bombardements russes sur leur pays. Si la France a décidé, cette fois, d’accueillir environ 100 000 personnes, le débat persiste.

C’est surtout à partir de 2015 que le journal comme le reste du pays est confronté à l’afflux important d’exilés. Cette année-là, l’Europe aborde un tournant majeur de son histoire contemporaine : des dizaines de milliers de personnes fuient leurs pays (la Syrie, la Tunisie, l’Egypte, l’Afghanistan, le Mali…) dans l’espoir de trouver une vie meilleure en Europe. C’est ce qu’on a appelé à l’époque la «crise migratoire» puisqu’elle a mis l’Union face à ses lacunes : incapable de se coordonner, de répartir l’accueil et la prise en charge, engluée dans des règlements abscons, elle semble insensible au destin de ces hommes, femmes et enfants qui pour certains meurent en tentant de traverser la mer Méditerranée sur des bateaux pneumatiques de fortune. La France n’est, là encore, pas exempte de reproches. Dans ce contexte, le 7 avril 2015, Libération accuse en une : «Lampedusa : l’indifférence meurtrière», dénonçant l’inaction des pays européens dans la prise en charge des exilés. Treize jours plus tard, le 20 avril, le même constat s’affiche en lettres capitales : «mer morte», après le naufrage de bateaux avec à leurs bords 700 personnes, toutes disparues. Et deux jours plus tard, la rédaction fait une suggestion à François Hollande, alors président de la République : «Pourquoi il faut légaliser l’immigration» avec en image un homme, dans la nuit sur un bateau pneumatique implorant de ses deux mains qu’on vienne le sauver.

Des choix forts, accompagnés dans les pages intérieures d’analyse sur «les 10 idées fausses sur l’immigration» ou de reportages sur le système d’asile «à bout de souffle» dans l’Hexagone symbolisé par des centaines de tentes regroupées, déjà, à La Chapelle, dans le nord de Paris. Il y eut aussi de nombreux appels, comme ces quatre lettres, surplombant deux exilés tombés à l’eau au cours d’une tentative de traversée : «AGIR». Ou bien cette tribune, dont les premières lignes ont été portées en une le 10 septembre 2015, comme un manifeste : «Nous, journaux d’Europe, nous unissons pour exhorter nos dirigeants à agir résolument pour gérer cette tragédie humanitaire et empêcher que d’autres vies ne soient perdues…»

Au fil des années, plus les débats politiques se sont crispés sur la question de l’immigration, plus le journal a tenté d’appeler les dirigeants et les lecteurs à la raison, dénonçant la fermeture des frontières, les conditions de vie dans le centre de Sangatte (inlassablement dénoncées dans de nombreux reportages) puis, après sa fermeture, dans la grande jungle de Calais («une jungle sans fin» titre Libé à la une du 23 février 2016), mais aussi le durcissement des manœuvres policières à la frontière italienne qui poussent les migrants à grimper les sommets enneigés des Alpes l’hiver, l’indifférence de la Grande-Bretagne et de la France quant au sort réservé aux exilés qui tentent la traversée de la Manche, ou plus récemment l’errance de l’Ocean Viking. Ces dix dernières années, il a été plus important que jamais de mettre au cœur de nos pages des reportages et des portraits, au Sénégal, au Kenya, en Libye, en Italie et partout en France : donnant la parole à celles et ceux – les principaux concernés – qui ne l’ont que trop peu. Leur consacrant même, en mars 2017, un journal spécial dont ils seront les rédacteurs : le «Libé des réfugiés».