Il est des moments où le nom de Samuel Paty refait sombrement surface. Depuis le début de la semaine, c’est le cas à Avignon (Vaucluse), où les enseignants de l’école primaire publique des Grands Cyprès ont reçu sur la boîte mail générale de l’établissement des mails anonymes, où pullulent des menaces d’agressions physiques et de mort. En tout, trois courriels, émanant d’émetteurs différents et inconnus des enseignants, respectivement datés des 22 et 23 avril. Dans l’un d’eux, intitulé «Favoritisme scandaleux», les phrases à l’orthographe approximative, rivalisant de violence, s’enchaînent : «Tu veu Samuel Pati tu l’ora.» Le 16 octobre 2020, le professeur d’histoire-géographie était assassiné devant son collège pour avoir montré à sa classe des caricatures de Charlie Hebdo représentant Mahomet.
C’est la directrice de l’école des Grands Cyprès qui a découvert les courriels, consultés par Libération. Au fil des «grand cyprès école des corrompus», «je vé vous niké avec une arme ou couteau» et «je coné vos adress», l’objet du mécontentement de l’auteur des menaces – ou des auteurs – se dessine : le fait qu’un enseignant n’ait pas proposé à un enfant de sauter une classe, alors qu’il l’a fait pour un autre élève, nommé dans le mail. Il est question, à de multiples reprises, d’une supposée discrimination envers «les Marocains qui nont pas le droit de sauter une classe». Les noms de deux enseignants apparaissent plusieurs fois, agonis d’injures.
Surveillance régulière et patrouilles de police
L’affaire est prise «très au sérieux», indique le rectorat de l’académie d’Aix-Marseille. Le parquet d’Avignon a été saisi et une enquête policière est en cours. De plus, les moments d’entrée et de sortie de l’école font l’objet d’une surveillance régulière par des patrouilles de police municipale et nationale. Enfin, un accompagnement particulier de l’école est déployé «avec un renfort par un ou deux enseignants selon les jours» et un «point journalier» est effectué entre l’école, la mairie d’Avignon et la Direction des services départementaux de l’Education nationale, comme nous le confirme le rectorat.
Nicolas Odinot a été l’un des premiers témoins de l’inquiétude qui enfle depuis des jours au sein de l’équipe éducative de l’école des Grands Cyprès. En tant que membre de la branche vauclusienne du SNUipp (Syndicat national unitaire des instituteurs et professeurs des écoles), il a «tout fait pour mettre en place une protection de [ses] collègues» de façon qu’ils puissent «continuer d’exercer leur métier» et qu’ils n’aient pas à craindre «de se faire attaquer sur le trajet qui les mène à l’école». C’est «en tant que syndiqué» qu’il a aussi travaillé à l’amélioration du dialogue entre les différentes parties prenantes.
De plus en plus de professionnels exposés aux litiges
Nicolas Odinot remarque le déséquilibre auquel il a immédiatement été confronté : l’horreur des menaces face au caractère «presque anecdotique» des accusations qui les motive. Chez les enseignants, il a vu les questions s’égrener une à une, dans «la peur et la douleur». Faut-il opacifier le grillage de l’école ? Protéger la cour de récréation, un espace ouvert sur le quartier, dont les scènes de vie quotidiennes sont à la vue de tous ? «Ce qui est certain, en tout cas, c’est qu’il faut que l’Education nationale forme du personnel aguerri pour accompagner les établissements dans la gestion de situation de crises comme celles-là», tonne celui qui est également enseignant à Carpentras. Car de la réactivité de ses supérieurs hiérarchiques dépend la santé psychologique de ses collègues. «Etre menacé de mort, c’est une situation auquel un enseignant n’est jamais préparé.»
Selon le baromètre du climat scolaire 2023-2024, publié par l’Autonome de solidarité laïque (ASL), il y a une hausse significative (+ 7 %) par rapport aux chiffres de l’année scolaire précédente de professionnels de l’éducation exposés aux litiges. Parmi les quelque 10 800 dossiers ouverts par l’association dans le cadre de l’accompagnement de ses adhérents, la grande majorité l’ont été pour des faits de diffamation, d’agressions verbales et d’agressions physiques. De plus, dans près de la moitié des dossiers (48 %) concernant une agression ou un sentiment d’agression, les représentants légaux ou un proche de la famille des élèves sont impliqués.
Pour Jean-Louis Linder, président de l’ASL, «un sentiment d’impunité» est né à partir du moment où les agressions ont commencé à se produire via des voies numériques. «Derrière un écran, les agresseurs s’imaginent dans une zone de non-droit et se permettent tout et n’importe quoi», juge-t-il. Et de conclure : «C’est une réalité qu’il faut à tout prix combattre.»