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Ecole

«C’est la fin du calvaire» : à Lille, le contrat avec l’Etat du lycée musulman Averroès rétabli par la justice

Pointant le manque de preuves et des vices de procédure, le tribunal administratif a ordonné, mercredi 23 avril, de renouer le contrat rompu en 2023 par la préfecture pour de supposés «manquements graves aux principes fondamentaux de la République».
Une élève écrit au tableau pendant un cours au lycée Averroès de Lille, dans le nord de la France, le 28 septembre 2023. (Sameer Al-Doumy/AFP)
par Stéphanie Maurice, correspondante à Lille
publié le 23 avril 2025 à 15h51
(mis à jour le 23 avril 2025 à 20h04)

C’est ce qui s’appelle un camouflet. Le tribunal administratif de Lille a rétabli mercredi le contrat liant le lycée privé musulman Averroès à l’Etat, résilié par le préfet du Nord en décembre 2023. Une décision fustigée par le ministre de l’Intérieur le lendemain, qualifiant l’établissement de «bastion de l’entrisme islamiste». Bruno Retailleau a assuré disposer d’éléments «extrêmement graves, extrêmement lourds» contre ce lycée et souhaite «que l’Etat fasse appel».

Mercredi, au moment de l’annonce de la décision, l’ambiance était bien différente devant les grilles de l’établissement. Dans le quartier populaire de Lille-Sud (Nord), un groupe de jeunes filles en première est surexcité : «Vous connaissez la nouvelle, Madame ?» rigole Lina, la plus hardie. Tout le lycée savait que la décision tomberait vers 15 h 30 : «On avait la boule au ventre, on espérait regagner ce magnifique contrat», décrit l’adolescente.

Elle explique : «On devait passer toutes les matières du bac sur table, on n’avait pas droit au contrôle continu parce qu’on était hors contrat.» Elles ont toutes bon espoir de voir s’envoler cette énorme contrainte. «On était en marge, on sera juste comme les autres, pas différentes», sourit Lina. Khadja souffle : «C’est la fin du calvaire.»

Elles ont raison d’espérer : l’exécution de la décision est immédiate et rétroactive à partir de septembre 2024, précise l’un des avocats du lycée, Sefen Guez Guez. Et même si l’Etat décide de faire appel, celui-ci n’est pas suspensif. Ce qui veut dire que l’Etat va devoir verser le financement de 250 000 euros de l’année scolaire 2024-2025, réintégrer les professeurs dans le statut des écoles sous contrat, avec une prise en charge de leurs salaires depuis septembre, un budget de plus d’un million d’euros, estime Eric Dufour, le directeur d’Averroès.

Préjudices

«C’est du jamais vu, nous allons avoir rapidement une réunion de travail avec le rectorat pour toutes ces questions», signale l’avocat. La tâche s’annonce complexe : il faudra sans doute aussi rétablir dans leurs droits les élèves boursiers. Et que dire des préjudices subis, matériels et moraux ? Les professeurs en disponibilité cette année, à la carrière suspendue, les 180 élèves de moins inscrits au lycée, la réputation abîmée… Les avocats d’Averroès prévoient de futurs recours.

Dans sa décision de 17 pages, le tribunal démonte un par un tous les griefs mis en avant par l’Etat, dans un dossier monté par un préfet proche de Gérald Darmanin, Georges-François Leclerc, aujourd’hui en poste dans les Bouches-du-Rhône : pas de preuves suffisantes d’atteintes aux valeurs de la République dans le cours d’éthique musulmane, ou du «manque de pluralisme culturel de la documentation accessible aux lycéens», ou d’un système de financement illicite. Ne restaient plus que le refus d’une inspection inopinée et un défaut de gouvernance de l’association qui gère le lycée : «Le tribunal a considéré qu’ils n’étaient pas d’une gravité telle qu’ils pouvaient justifier la résiliation contestée», précise le communiqué de presse de l’institution judiciaire. Elle épingle aussi des vices de procédure, avec le non-respect des droits de la défense.

Un ancien élève du lycée, aujourd’hui médecin, constate, un brin désabusé : «Le soupçon est différent pour nous, par rapport aux écoles privées catholiques : eux, c’est la maltraitance, nous, on nous reproche d’être de possibles terroristes.» Une enseignante se dit soulagée : «C’est moralement fatigant de devoir prouver qu’on n’est pas ce que certains pensent. Mais il fallait être patient et avoir confiance dans la justice.» La préfecture du Nord n’a pas encore réagi à cette décision.

Mise à jour : à 20 h 03 avec des éléments de reportage et le contenu de la décision du tribunal administratif et le jeudi 24 avril avec la réaction de Bruno Retailleau.