Spécialiste du harcèlement et de la violence en milieu scolaire, Emmanuelle Piquet reçoit régulièrement en consultation des enfants et des adolescents ayant traversé des épisodes traumatiques. Elle a publié, entre autres, Te laisse pas faire (Payot, 2014) et Je me défends du harcèlement (Albin Michel, 2015). Elle supervise la pratique de 30 thérapeutes de centres de formation et consultation à la thérapie brève et stratégique de l’école de Palo Alto et consulte à Mâcon.
Dans un contexte politique déjà anxiogène (guerre Hamas-Israël, mais aussi angoisse écologique), quel impact sur la vie psychique des enfants peut avoir un événement comme celui qui s’est produit ce vendredi 13 octobre à Arras ?
Il y a une question de proximité avec l’événement, et cette proximité n’est pas forcément géographique mais affective. Est-ce que l’environnement va en parler, à l’école, dans la famille, à la radio le matin ? Selon les familles, la présence des informations est plus ou moins forte. D’une façon générale, il ne faut pas prendre les devants mais plutôt laisser les enfants poser des questions.
Que répondre aux enfants qui expriment leurs craintes ?
C’est un réflexe très moderne de vouloir éviter toute forme d’émotion négative aux enfants. Par rapport à Arras, avoir peur dans un tel contexte est logique. Si on n’a pas peur, c’est problématique. Et dire à un enfant «il est fort peu probable que ça arrive dans ton établissement» ou «tu n’as aucune raison d’avoir peur» aura paradoxalement un effet inverse. Le fait de nier l’émotion de quelqu’un la fait enfler. Pour être moins submergeante, la peur doit trouver une place, elle doit pouvoir être accueillie.
Comment laisser une place à la peur sans que l’enfant ne cède à la panique ?
En tant que parent, il faut avoir l’honnêteté d’avouer son impuissance. Si on dit à un enfant : «Tu as raison de ressentir cela et la seule chose que je puisse faire pour l’instant, c’est un câlin», c’est déjà plus rassurant que de vouloir faire croire que tout ira mieux demain. On n’en sait rien. Si le parent baisse la garde et dit «moi aussi j’ai un petit peu peur», cela se transforme souvent en courage, car étouffer une émotion, c’est la faire grossir. Une peur se transforme en angoisse, quand on la cache.
Que faire si un enfant ne veut pas retourner en cours ?
Rester à la maison plutôt qu’aller en classe reviendrait à éviter la sensation, qui va rester tapie à l’intérieur. Il faut proposer à l’enfant de l’accompagner sur le chemin de l’école, par exemple. S’il n’y va pas, ce sera encore pire le deuxième ou le troisième jour.
Serait-il nécessaire que l’Education nationale propose des cellules psychologiques ou que les établissements prévoient que les drames soient évoqués en classe ?
Dans la ville de l’établissement concerné, oui, car dans le cas contraire, le silence serait particulièrement assourdissant.
Suggérez-vous de ne pas mettre les enfants en contact avec les images des informations de la TV ou la radio ?
Oui, il vaut mieux éteindre en ce moment. Mais le risque, c’est que l’actualité fasse irruption d’elle-même. Il n’est pas impossible qu’ils entendent une conversation à l’arrêt de bus, ou qu’un camarade sorte son portable et montre des images atroces à la récré.
Comment réagir si les enfants ont vu des images qui les ont traumatisés ?
Tout dépend de ce que les images ont généré chez eux. Il y a des symptômes qui doivent nous alerter : cauchemars, angoisses au moment d’aller se coucher, d’aller à l’école, le pipi au lit, des colères inopinées… Toutes ces émotions créent un écart avec l’ordinaire. Ce sont aux proches d’aller chercher les symptômes, et dire à l’enfant : est-ce que quelque chose te tracasse ? C’est ainsi que l’on peut commencer la discussion. Car si ce sont des images horribles, elles nous renvoient aussi à notre impuissance. Elles montrent ce qui s’est passé mais les regarder n’apporte pas grand-chose…
Et si les enfants veulent s’informer à tout prix ?
Je trouve très bien et même indispensable que des médias comme le Petit Quotidien à destination des enfants digèrent une information difficile et la restituent de façon adaptée. [Arte fait aussi un travail remarquable avec son journal d’informations Arte Junior, ndlr].