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Education nationale

Au lycée Blaise-Cendrars de Sevran, des profs convoqués pour leur participation à une vidéo TikTok

Pour être apparus sur une vidéo virale tournée par leurs élèves et destinée à dénoncer les conditions de vie dans ce lycée de Seine-Saint-Denis, quatre profs ont été convoqués par leur cheffe d’établissement et la direction départementale de l’Education nationale. Un entretien aux allures de «piège».
Extrait de la vidéo postée sur Tiktok, dans les locaux de Blaise Cendrars. (TikTok)
par Léo Thiery
publié le 15 mars 2024 à 20h19

Mercredi 13 mars, alors qu’ils se rendaient sur leur lieu de travail, quatre professeurs du lycée Blaise-Cendrars de Sevran (Seine-Saint-Denis) ont eu la surprise d’apprendre leur convocation dans le bureau de leur proviseure, ce vendredi 13 mars, à des entretiens individuels en présence de la cheffe d’établissement, donc, et d’un représentant de la Direction des services départementaux de l’Education nationale (DSDEN). Point commun de ces quatre enseignants ? Leur apparition dans une vidéo TikTok publiée le 7 mars à l’initiative d’élèves du lycée. Celle-ci mettait en scène, durant près de deux minutes, les difficultés rencontrées chaque jour dans l’établissement. Absence de chauffage dans les salles de classe, plafonds délabrés, manque de tables et de chaises, professeurs non remplacés : un condensé des problématiques dénoncées depuis maintenant trois semaines par la communauté éducative du département.

Mélissa, l’une des enseignantes concernée, voit dans cette convocation «une grossière tentative d’intimidation». «La mobilisation dans le 93 prend une tournure rarissime et les autorités ne s’y attendaient pas. Elles ont peur et tentent de décourager ceux qui se mobilisent ou ceux qui hésitent à nous rejoindre», affirme-t-elle. Sollicitée par l’AFP, l’académie de Créteil a quant à elle estimé «tout à fait normal qu’un chef d’établissement qui constate un problème de positionnement d’un personnel relevant de son autorité le convoque».

«Filmée et montée de A à Z par les élèves»

La professeure de français, qui cumule quatorze jours de grève depuis le début du mouvement le 26 février, décrit une sensation de «piège» lorsqu’elle découvre que la convocation ne fait mention d’aucun motif précis. Et le fait que l’entretien ait été, selon elle, «mené de bout en bout par le conseiller de la DSDEN» témoigne de l’implication du rectorat. Très vite, son interlocuteur lui aurait opposé deux griefs. Un «non-respect du droit à l’image des élèves» d’un côté et un manquement «au devoir de réserve des fonctionnaires de l’éducation» de l’autre, retrace Mélissa.

Des motifs de mise en cause qu’elle conteste fermement. «Cette vidéo a été pensée, filmée et montée de A à Z par les élèves. Nous avons seulement été invités à y participer», explique-t-elle. Contactée par Libération, l’une des élèves à l’initiative de la vidéo confirme en effet avoir été à la rencontre de certains de ses professeurs pour «leur demander de décrire face caméra un problème qu’ils ont rencontré en travaillant au lycée Blaise-Cendrars». «Dans ce contexte, je ne vois pas comment j’aurais pu contrevenir au droit à l’image d’élèves qui ont eux-mêmes fait le choix de se filmer», ajoute Mélissa.

«Une sorte d’étendard de la lutte»

L’enseignante balaie également tout manquement à son devoir de réserve. «L’ensemble des éléments relatés et mis en avant dans la vidéo relèvent de faits et non d’opinions», juge-t-elle. Sur la vidéo, elle n’apparaît que quelques secondes pour expliquer qu’après son départ en congé maternité, elle n’a pas été remplacée et que ses élèves n’ont pas eu de professeur de français durant six mois l’année de leur bac. Par ailleurs, interrogé par Libération en 2019, Antony Taillefait, professeur spécialiste du droit des fonctionnaires, rappelait que si les agents publics ont en effet depuis la IIIe République une obligation d’obéissance et de loyauté envers leur institution, cela «ne veut pas dire qu’ils n’ont pas la possibilité de s’exprimer ! Il faut simplement un ton correct et une critique argumentée».

Si l’académie de Créteil a assuré à l’AFP qu’«aucune procédure disciplinaire n’est engagée» et qu’il n’était «pas question ici d’exercice du droit syndical, et encore moins d’une volonté d’y porter atteinte», Mélissa relève toutefois que lors de son entrevue, on lui aurait indiqué qu’un compte rendu «des entretiens du jour sera versé aux dossiers académiques des quatre enseignants mis en cause». Un document qu’elle a refusé de signer, et auquel pourra s’ajouter par la suite un autre compte rendu, rédigé cette fois par les enseignants et leurs représentants syndicaux.

Face à l’ampleur que prend désormais l’affaire, l’enseignante préfère y voir du positif. «Personne ne s’attendait à ce que la vidéo fasse des millions de vues, moi la première. Les élèves ont réussi à visibiliser nos problèmes et à faire de Blaise-Cendrars une sorte d’étendard de la lutte des enseignants dans le 93.» Après une nouvelle journée d’action dans le département ce vendredi 15 mars, l’intersyndicale appelle de nouveau à la grève la semaine prochaine.