Un long hommage. Une longue dénonciation. Durant une demi-heure, Mickaëlle Paty est revenue, face aux sénateurs, sur l’assassinat de son frère le 16 octobre 2020 à Conflans-Sainte-Honorine. «Je dédie ce texte à celui qu’on n’a pas sauvé», commence-t-elle, d’une voix claire, tenant à honorer la mémoire de Dominique Bernard, professeur de français tué à coups de couteau vendredi 13 octobre au lycée d’Arras. Puis, Mickaëlle Paty a ensuite égrainé les insuffisances de l’Etat, rappelé comment son frère a été «lâché par ses collègues enseignants», comment la menace islamiste n’a pas été prise au sérieux par les autorités. L’objectif pour la sœur de l’enseignant : «Comprendre les failles administratives et politiques qui ont pu concourir à son assassinat».
La mission de contrôle sur le signalement et le traitement des pressions, des menaces et agressions dont les enseignants sont victimes, recevait ce mardi 17 octobre la sœur de Samuel Paty. Créée par la commission des lois et la commission de la culture, de l’éducation et de la communication, cette instance était vivement attendue par la famille du professeur d’histoire-géographie. Une mission d’ailleurs dotée des pouvoirs de commission d’enquête sur le signalement et le traitement des pressions, des menaces et agressions dont les enseignants sont victimes. Dans un courrier adressé en mai au président du Sénat, Gérard Larcher, Mickaëlle Paty appelait à la création de cette mission et même à «l’ouverture d’une enquête parlementaire afin d’établir les failles de ce drame et de tenter d’en colmater les brèches».
Reportage
Une vision anglo-saxonne de la laïcité
«Il y aura un avant et un après Samuel Paty», disait Jean-Michel Blanquer, ministre de l’Education nationale au moment de la mort du professeur décapité par Abdoullakh Anzorov, un réfugié d’origine tchétchène âgé de 18 ans, dix jours après avoir montré en classe deux caricatures du prophète Mahomet publiées dans Charlie Hebdo. Une prédiction du ministre citée par Mickaëlle Paty pour la critiquer. Car pour elle, «l’après Samuel Paty» n’est toujours pas à l’ordre du jour, on est encore dans le «pendant». Dans un discours fort aux allures de réquisitoire contre le gouvernement et l’Etat, la quadragénaire dénonce le fait que l’institution se soit dédouanée de toute responsabilité. «Seuls trois professeurs sur les 51 qui composent l’équipe enseignante ont été entendus. Versus quatre représentants des parents d’élève. Parmi les professeurs qui n’ont pas voulu témoigner, beaucoup ont refusé par peur de l’éducation nationale, pas à cause de la menace islamiste. Ils avaient peur de représailles, avec des mutations», assure Mickaëlle Paty.
«Je tiens à souligner la volonté constante de l’éducation nationale de faire abstraction de la notion de péril grave et imminent. Et de continuer de transformer une campagne islamique en un problème pédagogique», soutient-elle avant de s’interrompre et de boire un verre d’eau. Son timbre est perçant et les dénonciations laissent les sénateurs cois. «Plus d’un professeur sur deux qui s’autocensure», «culpabilité» du corps enseignant : son exposé s’élargit petit à petit vers la notion plus large de «valeurs de la République», un concept en perdition selon elle face à une vision à l’anglo-saxonne de la laïcité, notamment prônée par les plus jeunes enseignants. Et Mickaëlle Paty de donner son avis sur les dernières mesures prises par le gouvernement en la matière. «L’abaya, le qamis, le voile, affichent ostensiblement l’appartenance islamique de ceux qui les portent. Pas besoin de savoir si ces tenues s’accompagnent de discours qui vont à l’encontre de la laïcité, explique-t-elle. Rien que le fait de les porter est un appel à la désobéissance civile. Il faut arrêter de croire que ceux qui ne respectent pas la laïcité n’en comprennent pas le sens. Ils ne la comprennent que trop bien». Elle déplore une jeunesse qui, à ses yeux, «ne peut ni ne veut faire société.»
«J’attends qu’il y ait un après Samuel Paty»
Enfin, Mickaëlle Paty dénonce la culture du «pas de vague» dans les institutions. «Il a été reconnu comme certain et à tort coupable de déloyauté, dit-elle au sujet de son frère. L’Etat n’a pas fait sa part du contrat social. […] Le dernier exécuté ce n’est pas Hamida Djandoubi [dernier condamné à la peine de mort guillotiné en France, ndlr], c’est Samuel Paty, exécuté en 2020 à Conflans-Sainte-Honorine.»
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Après une heure d’échange avec les sénateurs, Laurent Lafon, le président de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication pose une question simple en guise de conclusion. Il demande à Mickaëlle Paty si elle a pu constater «une certaine difficulté du côté de l’éducation nationale dans les établissements et au ministère à parler de l’assassinat de Samuel Paty» Juste après avoir la création d’une journée entière de temps scolaire consacrée chaque année à la mort de Samuel Paty : demandée par le Conseil des sages en janvier 2022, elle n’est toujours pas organisée. «Cela fait trois ans que mon frère est mort. Cette année, les consignes de l’éducation nationale pour organiser une journée d’hommage ont été envoyées au rectorat seulement jeudi dernier dans la soirée», dit-elle, dénonçant une communication toujours plus tardive, et «une situation rocambolesque». «Ce n’est pas par plaisir que je viens ici. J’ai besoin de vous, lâche enfin Mickaëlle Paty. J’attends qu’il y ait un après Samuel Paty. Et que ça ressemble à quelque chose.»