Jusqu’au bout, IBM a joué la surprise, et n’a dévoilé le lieu du choc de la matière grise contre le silicium que sur le fil : le 35e étage de l’Equitable Center, un gratte-ciel au cœur de Manhattan. Ce 5 mai 1997, 500 élus se pressent dans l’auditorium new-yorkais. La rencontre tient du huis clos, et le lieu a des allures de caveau. La première des six parties vient de s’achever par une victoire des neurones de Garry Kasparov, sur les processeurs de Deeper Blue. «Si nous continuons à jouer avec la même intensité, cela risque d’être difficile», maugrée le Russe.
Dans ce match revanche pour l’ordinateur, les feux des projecteurs sont à leur climax planétaire. Les grands médias du monde entier, dont Libération, rongent leur frein dans l’antichambre de la scène. Avec une seule question : la simili-intelligence artificielle parviendra-t-elle à battre l’humanité à son propre jeu roi ? «The brain’s last stand», promeut en couverture un magazine américain : «La dernière bataille du cerveau». «Le futur de l’humanité est en jeu», s’égare même un grand maître.
En parfait chevalier blanc prométhéen faisant face à un double monolithe noir kubrickien, Kasparov explique qu’il part dans l’inconnu. «C’est la première fois depuis l’âge de 12 ans que je n’ai aucune partie de mon adversaire en tête.» La plupart des grands joueurs relativisent une rencontre artificielle ? «On peut aimer ou ne pas aimer le vent, nous confiait-il juste avant ce match historique.