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«Ça fera sérieux», «Où la mairie va-t-elle trouver l’argent ?» : à Aubervilliers, l’uniforme à l’école fait déjà débat

Alors qu’Emmanuel Macron a annoncé vouloir lancer un projet d’expérimentation de la «tenue unique» dans une centaine d’établissements dès la rentrée 2024, reportage près de Paris où deux écoles se sont portées volontaires.
A l'école privée Saint-Vincent-de-Paul, à Nice le 11 septembre 2023. (SYSPEO. SIPA)
par Marie Gréco
publié le 18 janvier 2024 à 18h59

Sabrina n’a jamais entendu parler de l’uniforme. Accoudée sur la grande grille verte du groupe scolaire Valles-Varlin d’Aubervilliers (Seine-Saint-Denis), classé en réseau d’éducation prioritaire, la fillette de 8 ans est davantage occupée à gagner une bataille de boules de neige contre son frère Nabil, 11 ans. Mais quand on lui explique que porter l’uniforme, c’est porter la même tenue que ses camarades de classe, elle hausse les épaules. «Tant qu’on ne m’oblige pas à porter des jupes, ça me va», lâche l’élève, avant de rejoindre sa classe de CE2 pour l’après-midi.

Selon un document de travail de la Direction générale de l’enseignement scolaire (Dgesco) rendu public mercredi 17 janvier par plusieurs médias, les deux écoles élémentaires de ce groupe scolaire seraient volontaires pour tester «la tenue unique» dès la rentrée 2024. Emmanuel Macron a effectivement annoncé un projet d’expérimentation dans une centaine d’établissements lors de sa conférence de presse de mardi. L’uniforme pourrait se généraliser en 2026 «si les résultats sont concluants», avait également précisé le chef de l’Etat.

Un «sentiment d’appartenance» ?

Ce jeudi, le temps de la pause méridienne, Hélène Careil et Redouane Bensaber, deux professeurs d’une école voisine et membres du syndicat SUD éducation viennent informer le corps enseignant de la nouvelle. «Il fallait bien que quelqu’un leur dise, s’agacent-ils. Certains l’ont su par les médias hier, d’autres n’étaient tout simplement pas au courant.» Lors du dernier conseil municipal de la commune, le 21 décembre 2023, la maire, Karine Franclet (UDI), avait assuré que le port de l’uniforme permettrait de donner un «sentiment d’appartenance» aux élèves et de «lutter contre le décrochage scolaire». Tout en secouant ses tracts rouges marqués d’un «Non à l’uniforme» en grosses lettres, Hélène Careil martèle que cette mesure, et les débats qu’elle engendre, occulte les «vrais» problèmes de l’éducation nationale.

«Des établissements prennent l’eau, les enseignants absents ne sont pas immédiatement remplacés, on manque d’accompagnants des élèves en situation de handicap… Si on veut augmenter le niveau des élèves, c’est là-dedans qu’il faut mettre l’argent», appuie Redouane Bensaber. Les deux syndicalistes sont particulièrement inquiets par le financement de la tenue unique. En effet, le coût total du «kit», composé de polos, de pulls et de pantalons, est de 200 euros par tête. Le temps de l’expérimentation, il sera pris en charge par les communes et par l’Etat. «Où la mairie va-t-elle trouver l’argent ? interroge Hélène Careil. Depuis des années, le budget de la ville d’Aubervilliers est de 37 euros par élève et ça ne suffit pas à commander des manuels scolaires pour le monde.»

«Rien n’est encore acté»

Debout, collé à la grille verte, le directeur de l’école Eugène-Varlin accueille les élèves avec le sourire. Mais une fois les enfants entrés dans l’établissement, son visage se fige. Dans quelques minutes, il va devoir affronter ses collègues, pour la plupart opposés au port de l’uniforme et déçus d’avoir appris la nouvelle par la voix des syndicats. «Je ne leur en avais pas encore parlé, mais j’allais le faire», assure l’homme, qui n’a pas souhaité donner son identité. Il déplore toutefois un emballement qui n’aurait pas lieu d’être : «Rien n’est encore acté. Le test de la tenue unique doit encore être voté par le conseil des maîtres et le conseil d’école.»

Les parents d’élèves non plus n’avaient pas été mis au courant. «Ce n’est pas grave, parce que c’est plutôt une bonne nouvelle», estime Rachid, père d’une élève de CP. Pour lui, la tenue unique permettrait d’éviter les moqueries. «Avec ça, ma fille ne se sentira plus mal quand ses copines auront les dernières baskets à la mode et pas elle», poursuit-il. «Puis ça fera sérieux», lance un autre père, à côté de lui. Comme tous les midis, Chakik conduit sa fille à l’école pour les cours de l’après-midi. L’uniforme le ramène à ses souvenirs : «J’en portais un lorsque j’étais étudiant au Maroc et je l’ai très bien vécu.»

Un peu plus loin, Kelly et Katia ne s’opposent pas non plus à l’expérimentation. Toutefois, les deux mères ne croient pas en son succès. «Au début, ça va faire rire les enfants, mais ils vont vite en avoir marre de porter toujours la même tenue», soutient Katia. De son côté, Kelly s’interroge surtout sur le coût de l’uniforme. «Là, on est tous contents parce qu’on va nous le fournir gratuitement. Mais, ça va se passer comment après ? Les fournitures scolaires sont déjà chères. Alors si on doit en plus ajouter 200 euros d’uniforme, ça va commencer à faire beaucoup.»