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Itinéraire bis

Ces pays où l’on confisque le téléphone à l’entrée des écoles

Alors que certains pays testent déjà l’option des «casiers à portables» appelée de ses vœux par Nicole Belloubet en France, le bannissement total des smartphones à l’école fait débat dans la communauté scientifique.
Une étudiante range son téléphone portable dans un casier avant d'aller en classe à Rotterdam, aux Pays-Bas, le 7 septembre 2023. (Utrecht Robin/ABACA)
publié le 21 mai 2024 à 12h19

Interdire les téléphones dans les établissements scolaires a-t-il des effets positifs sur l’apprentissage et la santé mentale des élèves ? Alors que, le 30 avril, des experts ont remis à l’Elysée un rapport alarmant sur les «enfants et les écrans», la question se pose. D’après une étude publiée en 2023 par l’agence Heaven, 80 % des jeunes de 11 à 12 ans possèdent en effet un smartphone, et 71 % utilisent au moins un réseau social – l’âge légal pour s’inscrire sur une plateforme étant pourtant fixé à 13 ans. Selon l’association e-Enfance, 25 % des collégiens ont en outre subi du cyberharcèlement en 2023. Parfois jusqu’à l’indicible, en témoignent les suicides d’enfants sur fond de harcèlement en ligne ou encore l’agression de Samara, 13 ans, rouée de coups par trois mineurs après des invectives sur les réseaux sociaux.

58 % des élèves distraits par des téléphones en classe

A l’heure où les équipes pédagogiques constatent une certaine omniprésence des téléphones dans les collèges, la ministre de l’Education nationale, Nicole Belloubet, a ainsi annoncé le lancement d’une expérimentation à la rentrée 2024 : l’installation de casiers, à l’entrée des établissements, afin que les collégiens y déposent leur smartphone. Une telle façon de faire existe déjà dans certains pays : comme le relate Slate, cette mesure est par exemple appliquée dans 2 000 établissements aux Etats-Unis, avec des résultats jugés positifs. Depuis 2023, dans certaines régions d’Espagne, les enfants doivent aussi déposer leur téléphone dans une boîte. Sur le territoire français également, des enseignants testent déjà cette option : c’est le cas d’un professeur à Montpellier qui, dans le Figaro Etudiant, raconte à quel point «la différence en termes de qualité de concentration est impressionnante» depuis que ses élèves déposent leurs smartphones dans un «casier à portables».

D’après un rapport publié par l’Unesco en 2023, un pays sur quatre dans le monde a adopté des lois interdisant l’utilisation du téléphone dans les salles de classe – en France, le portable des collégiens doit être éteint et rester dans leur sac. Si une étude récente (en anglais) de deux chercheuses australiennes affirme que «les preuves en faveur de l’interdiction des smartphones en classe sont faibles et guère concluantes», un rapport publié le 9 mai par l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) note de son côté que «l’interdiction pure et simple des smartphones dans les établissements scolaires est une mesure qui a des effets visibles». Dans ce travail basé sur les résultats de l’édition 2022 du programme international pour le suivi des acquis des élèves (Pisa), qui mesure les performances scolaires des jeunes de 15 ans, la structure explique en effet que «l’utilisation excessive d’appareils numériques à des fins de loisirs en classe peut avoir un impact négatif sur les résultats scolaires des élèves» tout en présentant des «risques tels que le cyberharcèlement». D’après cette étude, 58 % des élèves en France déclarent avoir été distraits par l’utilisation d’appareils numériques en classe (65 % en moyenne dans l’OCDE), tandis que 53 % ont été déconcentrés à cause de camarades utilisant un téléphone ou une tablette (59 % dans l’OCDE). Par ailleurs, 43 % des élèves français assurent se «sentir nerveux ou anxieux» quand ils n’ont pas leur smartphone à proximité. Plusieurs professeurs et proviseurs interrogés par Libération soulignent, eux aussi, les conséquences liées à l’utilisation des portables en cours, constatant notamment un manque de concentration chez certains collégiens. «Je ressens parfois dans leur comportement une certaine appréhension liée au téléphone : ils ont peur d’être jugés, d’être filmés, et ensuite de se faire insulter sur les réseaux sociaux», explique en outre Léa (1), professeure d’EPS.

«Complexité» du sujet

Ainsi, si «l’environnement numérique offre des opportunités éducatives […], l’interdiction des smartphones peut contribuer à réduire les distractions», explique l’OCDE, qui soulève toutefois la «complexité» du sujet. En effet, «29 % des élèves [en moyenne dans l’OCDE] ont déclaré utiliser un smartphone plusieurs fois par jour alors que le téléphone était interdit». Que des «casiers pour portables» soient installés ou non, il sera de fait toujours possible pour les élèves de transgresser la règle (avoir un deuxième téléphone ou ne pas déposer le sien, par exemple). L’organisation affirme en sus que, dans plusieurs pays (Canada, Chili…) où des établissements ont interdit le téléphone portable, «les élèves sont moins enclins à désactiver les notifications des réseaux sociaux et applications au moment d’aller dormir». «Une application efficace [de l’interdiction] et d’autres stratégies sont nécessaires pour créer des environnements d’apprentissage ciblés», conclut l’OCDE, sans donner d’indication sur ces fameuses «stratégies».

(1) Le prénom a été modifié.