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Libération
Reportage

Dans une école d’Aubervilliers, une occupation nocturne «joyeuse» pour défendre «l’avenir des enfants»

Une soixantaine d’enseignants et de parents d’élèves ont occupé mardi 26 mars au soir un établissement de la commune de Seine-Saint-Denis, où le personnel éducatif est mobilisé depuis un mois pour réclamer un plan d’urgence pour l’éducation.
Manifestation de professeurs enseignant en Seine-Saint-Denis, à Paris le 21 mars. (Eric Broncard/Hans Lucas. AFP)
par Léo Thiery
publié le 27 mars 2024 à 14h13

A l’entrée de l’école primaire Anne-Sylvestre d’Aubervilliers ce mardi 26 mars en fin de journée, c’est la confusion. «Pour l’instant, on nous refuse l’entrée car le directeur du centre de loisirs [qui se trouve dans les locaux de l’école, ndlr] n’était pas au courant de l’action», explique une enseignante d’un collège voisin.

Désireux de marquer le coup un mois jour pour jour après le début de la mobilisation en Seine-Saint-Denis, parents d’élèves et enseignants ont pris la décision d’occuper l’école le temps d’une soirée. Profitant de ce moment de flottement, une mère d’élève tente de s’expliquer. «Vous ne pouvez pas vous opposer physiquement à ce qu’on soit là. Vous faites votre travail, je le comprends, mais on ne va rien casser, on se mobilise seulement pour l’avenir de nos enfants.»

Au cœur du contentieux, l’alerte Vigipirate rehaussée au seuil maximal par les autorités après l’attentat de Moscou du 22 mars, qui ne permet d’accueillir ni les parents, ni toute personne extérieure à l’école après les heures de classe. Après quelques minutes de tractations dans le hall de l’école, une soixantaine de personnes s’engouffrent dans la grande salle de récréation de l’école.

Comme depuis le début de la mobilisation en Seine-Saint-Denis, nombreux sont les parents d’élèves présents ce soir-là, aux côtés de professeurs de différents établissements de la commune.

Sur les bancs en bois bien trop petits pour les adultes présents, un petit garçon interroge son père sur la raison de sa présence. «On se réunit pour discuter de la suite de la mobilisation. Parce qu’on veut quoi ?», interroge en retour le père. «Le plan d’urgence», répond d’une voix candide l’écolier, avant de détailler le menu du midi à la cantine. Une référence à la revendication de l’intersyndicale, qui chiffre à 358 millions d’euros la somme nécessaire pour que les établissements scolaires du département puissent sortir la tête de l’eau.

Absence de soutien de la mairie

Après un rappel sur le chemin parcouru depuis le 26 février, date du début de la mobilisation dans le 93, l’un des enseignants mobilisés évoque les détails de l’action prévue ce vendredi devant le ministère des Finances (Bercy). Au programme : un lancer de billets à l’effigie de Gabriel Attal dans une école pleine de fuites d’eau. Les rires de l’assistance laissent augurer d’une franche adhésion.

Un des participants explique que plusieurs parents ont renoncé à venir ce soir en l’absence d’une autorisation formelle de la mairie (UDI) d’Aubervilliers. «Il faut bien comprendre que ce sont des occupations joyeuses, symboliques, sans dégradation», tente de rassurer le père d’une élève de CM2 scolarisée à Anne-Sylvestre. L’absence de soutien de la maire ne passe pas auprès des parents mobilisés. «C’est bien de mettre une banderole sur la mairie ou de demander des autorisations, mais il faut bien comprendre qu’on est face à des élus pour qui moins on se rassemble, mieux c’est», souligne la mère d’une collégienne.

Dans cette ville sous bannière communiste ou socialiste depuis la Libération, l’arrivée d’une majorité de droite en 2020 a rebattu les cartes. «On est face à une majorité municipale qui non seulement ne soutient pas du tout la mobilisation, mais qui était prête à se porter volontaire sur l’expérimentation des uniformes à l’école», lance Sofienne Karroumi, élu municipal d’opposition. «Cet argent public serait bien plus utile pour réparer les fuites d’eau, acheter du matériel manquant et financer des postes», pointe celui qui est également enseignant.

«Il faut passer à la vitesse supérieure»

Comme à plusieurs reprises depuis le début du mouvement, le souvenir victorieux de la lutte de 1998 dans le 93 refait surface au détour des discussions. «A l’époque, le mouvement a duré deux mois. Nous en sommes à cinq semaines. Non seulement, il ne faut rien lâcher, mais il faut maintenant passer à la vitesse supérieure, notamment du côté des parents. Pourquoi pas occuper les bureaux des chefs d’établissement un soir pour attirer l’attention ?», propose une mère de famille présente.

La nécessaire mobilisation des parents d’élèves revient beaucoup dans les débats. «Il y en a encore trop qui ne sont pas au courant de ce qu’il se passe, qui n’ont même pas entendu parler du plan d’urgence. Il faut en parler partout et tous les jours», incite une autre mère d’élève.

Tous partagent la même frustration sur l’absence de réponses politiques. «Le silence de la ministre [de l’Education] est honteux. Il faut l’obliger à se positionner», assène une participante agacée. Censés être reçus rue de Grenelle lundi 25 mars, les députés de Seine-Saint-Denis ont indiqué dans un communiqué publié le lendemain avoir été «plantés» une seconde fois en deux jours par Nicole Belloubet. Déjà reportée au mardi 26 mars à l’Assemblée nationale, l’audience ministérielle avec les parlementaires a de nouveau été décalée au vendredi 29 mars par les services du ministère.

Difficilement audible sous les rires des enfants qui jouent dans le hall, un enseignant se projette déjà au-delà des vacances scolaires d’avril. «Le risque que le gouvernement joue le pourrissement est grand. Il faut d’ores et déjà se préparer à de nouvelles actions après les vacances pour éviter ça», explique-t-il. Une solution revient plusieurs fois sur la table : massifier le mouvement.

«Vu qu’on n’a toujours pas été délogés, je vous propose que l’on transforme ce débat en moment festif», propose un participant en charge de la répartition de la parole. Après plusieurs heures d’occupation et un pot collectif, l’optimisme reprend le pas sur l’amertume. En fin de soirée, toujours pas un fonctionnaire de police à l’horizon, seulement un agent de la mairie venu observer l’action et s’assurer de son bon déroulement. De quoi, pour l’un des organisateurs, «rassurer les parents réfractaires pour les prochaines fois».