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Libération
Rétro 2022

De «Douglas» à «Nupes», les mots de 2022

«Finito», «bassines», ou «sobriété»… On ne les avait jamais prononcés l’année dernière, ils ont été dans toutes les bouches cette année.
Le 19 janvier, le collectif Ibiza, composé d'activistes écologistes, dont l'élu parisien et sosie de Jean-Michel Blanquer Nour Durand-Raucher, lors de son premier happening sous les fenêtres du ministère de l'Education nationale, le 19 janvier à Paris. (Fiora Garenzi/Hans Lucas/AFP)
publié le 24 décembre 2022 à 7h35

Ibiza

18 janvier. L’île espagnole a perdu son statut de reine de la teuf : on le sait désormais, Ibiza est parfaite pour bosser. C’est Jean-Michel Blanquer qui l’a dit. «J’ai pris quatre jours de congé et j’ai travaillé pendant ces quatre jours, s’est défendu l’alors ministre de l’Education nationale au 20 heures de TF1, le 18 janvier. L’hiver, ce n’est pas du tout comme l’été.» L’ex-chouchou de la Macronie venait d’être épinglé par Mediapart pour avoir annoncé un énième protocole sanitaire à l’école depuis les Baléares, la veille de la rentrée de janvier, sans avoir pris la peine de préciser où il se trouvait. Bronca immédiate. Car personnels, parents et élèves étaient essorés par près de deux années de Covid et de changements de règles perpétuels. Et attendaient avec impatience de savoir à quelle sauce ils allaient être mangés au retour des vacances de Noël. L’annonce tardive, qui plus est via un article payant du Parisien, avait déjà sacrément tendu tout le monde. L’idée que la décision ait pu être prise face à une piña colada et du pan con tomate a achevé de faire exploser la marmite.

Fossoyeurs

26 janvier. On peut raisonnablement parler de tsunami. Fin janvier, avant même sa sortie, grâce à la publication des bonnes feuilles par le Monde, et plus encore après, le livre les Fossoyeurs éclipse tout sur son passage. Trois années d’enquête du journaliste Victor Castanet, récompensé par le prix Albert-Londres, qui détaille avec précision comment Orpea, le géant des Ehpad privés, s’est enrichi au fil des ans en rognant sur les besoins élémentaires des résidents et grâce à des magouilles financières jamais interrogées. Certaines informations de l’ouvrage étaient déjà connues mais le Covid et ses ravages en maisons de retraite venaient de passer par là, sensibilisant davantage l’opinion au sort de ses aînés. Et l’investigation quasi chirurgicale de l’auteur a permis de mettre au jour tout un système savamment pensé par une poignée de dirigeants de l’entreprise cotée en Bourse. S’en sont suivies moult auditions parlementaires, perquisitions, promesses de renouveau du secteur privé du grand âge… La guerre en Ukraine a certes balayé Orpea médiatiquement, mais n’a pas enterré l’affaire. Il y aura forcément un avant et un après les Fossoyeurs.

Pixel War

1er-5 avril. L’espace d’un week-end, début avril, c’est devenu le sujet dont tout le monde parlait. De Thomas Pesquet à Eric Zemmour, Netflix ou Arte, chacun y allait de son message sur les réseaux sociaux, toujours conclus par #pixelwar. Un hashtag aussi nouveau qu’énigmatique, dont personne n’avait jusque-là entendu parler. Lancée pour la deuxième fois, après 2017, par le forum Reddit, la Pixel War était un concept simple : une immense page blanche, composée de quatre millions de pixels, mise à disposition des internautes du monde entier. Chaque utilisateur pouvait, toutes les cinq minutes, changer de couleur un pixel de manière à former, à terme, dessins ou inscriptions. Rien de plus, sur le papier, qu’un jeu de niche réservé à une poignée de geeks. Mais la magie d’Internet faisant son effet, l’inoffensive page blanche s’est transformée en un espace de combat international : une à une, les personnalités se sont mobilisées pour rassembler leurs communautés et défendre les symboles de leur pays en évitant que les pixels ne soient recouverts par d’autres. La France est sortie, de l’aveu de tous, grande vainqueure de cette Pixel War, réussissant à maintenir pendant trois jours nombre de dessins de dizaines de milliers de pixels représentant l’arc de Triomphe, la tête de Zidane ou la pyramide du Louvre. Au grand dam des Espagnols qui auront tout fait pour les effacer.

Finito

21 avril. La «poudre de perlimpinpin», expression utilisée par Emmanuel Macron lors de son premier débat présidentiel avec Marine Le Pen en 2017, avait déjà rejoint les télévisuels «abracadabrantesque» (2000) et «pschit» (2001) de Jacques Chirac. Il faudra désormais y ajouter le «finito» sorti de la bouche du président de la République lors de son second duel face à la candidate d’extrême droite. Plutôt que de dire, tout simplement, que la présidente du Rassemblement national veut «en finir» avec le marché européen, voilà le chef de l’Etat qui utilise soudain cette expression populaire sur les réseaux sociaux. Résultat, des détournements en pagaille sur YouTube, Twitter, TikTok… Exactement un des objectifs recherchés dans la stratégie de communication du chef de l’Etat pour toucher un électorat plus jeune et éloigné de la politique à une semaine d’un second tour plus risqué que cinq ans auparavant. Sûrement un effet Mc Fly et Carlito, les deux youtubeurs que Macron avait défié, un an plus tôt, sur l’appel à la vaccination et qu’il avait invités à l’Elysée pour un «concours d’anecdotes» dans son bureau.

Barbecue

27 août. Ah, le barbecue gate… Polémique de l’été ou offensive de la réacosphère contre son bouc émissaire préféré, Sandrine Rousseau ? Reprenons. «Il faut changer de mentalité pour que manger une entrecôte cuite sur un barbecue ne soit plus un symbole de virilité.» A l’occasion d’un débat lors des journées d’été d’Europe Ecologie-les Verts, la députée de Paris prononce cette phrase, soulignant ce que bon nombre d’écrivains, de Roland Barthes dans ses Mythologies à Carol J. Adams dans la Politique sexuelle de la viande, ont dit avant elle : la consommation de carne reste un totem viril, et par ailleurs, scoop !, ça pollue. Il n’en fallait pas plus pour embraser certains indignados de salon, qui se sont sentis offensés dans leur droit inaliénable à faire griller des chipos et l’ont bruyamment fait savoir. Le risque d’une interdiction immédiate et généralisée des grillades était en effet aussi grand qu’imminent… La fachosphère s’en est mêlée, à tel point que le harcèlement sur les réseaux de Sandrine Rousseau est devenu massif et d’une grande violence. La régularité de ces attaques et le sérieux des menaces dont elle fait l’objet sont tels que le ministère de l’Intérieur songeait cet automne à lui proposer une protection policière.

Monkeypox

Depuis mai. On la croyait disparue. Tout au plus relevait-on quelques cas épars dans les forêts d’Afrique centrale et occidentale de cette zoonose, due au virus de la variole du singe, dérivé de la très redoutée variole humaine. Et voilà qu’en mai, la maladie déborde. Relevant une multiplication des infections interhumaines inhabituelle sur les sols européen et américain, l’OMS lance l’alerte. Première touchée, la communauté homosexuelle ignore d’abord l’appel à la prudence. En juin, le virus se propage à la faveur de la Gay Pride, propice aux contacts peau contre peau et à la transmission de sécrétions (salive, sperme ou sécrétions anales). Le 23 juillet, après 16 000 cas signalés dans 75 pays et cinq décès, l’OMS déclenche son plus haut niveau d’alerte épidémique. En France, où l’on répertorie alors jusqu’à 300 nouveaux cas par semaine, les associations LGBT + fustigent la lenteur du déploiement vaccinal, seule alternative à l’abstinence sexuelle. Devant la colère, les autorités accélèrent. Trois mois plus tard, 135 000 doses de vaccins ont été administrées. L’épidémie est jugulée dans l’Hexagone. Pas dans les régions les plus pauvres du globe avertit l’OMS qui, le 1er novembre, maintient son alerte maximale.

Sobriété

6 octobre. Une Première ministre qui se présente en conférence de presse avec sa doudoune. Un ministre de l’Economie et des Finances qui publie, sur son compte Instagram, un cliché de lui à Bercy avec son col roulé – vêtement déjà prisé du président de la République… L’exécutif a mis son vestiaire à contribution pour que les Français soient plus «sobres» en énergie. Un gaz rendu rare par la guerre en Ukraine et un parc nucléaire fonctionnant à 60 % de ses capacités ont fait craindre très vite à Emmanuel Macron un manque d’électricité cet hiver. Fin août, lors du Conseil des ministres de rentrée, le chef de l’Etat convie les caméras pour faire passer le message d’un pays entré dans l’ère de la «fin de l’abondance». En parallèle, la ministre de la Transition énergétique, Agnès Pannier-Runacher, et Matignon travaillent sur un plan de «sobriété énergétique» : si tout le monde baisse sa consommation de 10%, on devrait pouvoir éviter les coupures de courant. Réponse en janvier quand le froid s’installera.

Bassines

29 octobre. On les appelle aussi «méga-bassines» pour mettre en évidence la démesure du projet. Mais pour le gouvernement ou la FNSEA – le principal syndicat agricole, partisan d’un modèle productiviste –, il s’agit plutôt de «réserves de substitution». Toute l’année, ces retenues qui visent à sécuriser l’irrigation d’une poignée d’agriculteurs en stockant de l’eau pompée en hiver – quand les nappes sont au plus haut – pour l’utiliser en été, ont cristallisé les tensions autour de la ressource en eau. Le point culminant de cette contestation a été la manifestation du 29 octobre, qui a rassemblé entre 4 000 et 7 000 personnes à Sainte-Soline (Deux-Sèvres). C’est dans cette commune qu’a commencé la construction de la plus grande (l’équivalent de 22 terrains de football) et deuxième des seize bassines prévues par le porteur de projets, la Coop de l’eau 79. Marquée par de nombreux affrontements entre manifestants et forces de l’ordre, la journée d’action a permis de faire de la question de la gestion de l’eau un débat national après une année marquée par une sécheresse historique.

Douglas

23 février. C’est l’histoire d’un type qui fait adhérer son chien aux Républicains. Qui le raconte autour de lui, jusqu’à ce que l’histoire revienne aux oreilles de Libération et se transforme en l’un des plus curieux épisodes de la dernière campagne présidentielle. Nous sommes début 2022, et la campagne de Valérie Pécresse ne va déjà pas fort. Le fichier de LR nous passe sous les yeux : normalement très protégé, le document circule en interne dans les mains les plus indiscrètes. On y trouve des choses étonnantes : défunts, recrues de complaisance se moquant bien de LR, adhérents non-francophones recrutés via des réseaux communautaires… Et un chien. Dont il faut redire qu’à l’origine, il s’appelle Clovis : c’est pour protéger l’identité de son maître que Libération a décidé d’en modifier le nom, d’ailleurs vite révélé. Pas de quoi, en tout cas, sauver la campagne Pécresse, qui échouera quelques semaines plus tard sur le pire score de la droite pour une présidentielle (4,8 %). L’histoire colle à la peau du parti : neuf mois plus tard, début décembre, alors qu’il se prépare à élire son nouveau président, le JDD s’amusera à inscrire… deux chats.

Nupes

7 mai. «Nupesse» ou «nups’» ? Huit mois après sa création, le débat sur la prononciation n’a toujours pas été tranché mais la coalition tient bon. Qui l’aurait cru ? Après des mois et des mois à parler d’alliance, les gauches se sont lancées éparpillées à l’assaut de la présidentielle. Mélenchon pour les insoumis, Jadot pour les écolos, Roussel pour les communistes et Hidalgo pour les socialistes. Il aura fallu l’élimination de tous au premier tour, avec un candidat LFI loin devant les autres, pour que tout le monde admette que l’union n’est certes pas suffisante pour gagner, mais quand même nécessaire. Fin avril, les écorchés de la présidentielle commencent à défiler à la queue leu leu au siège des insoumis pour négocier. Enfermés dans une salle de l’aurore au coucher du soleil, des hommes et des femmes qui ne se connaissaient pas toujours aboutissent finalement à un accord législatif, adossé à un programme commun, qui fera élire 150 députés. Depuis, malgré les critiques en insincérité et en incohérence, la Nupes est toujours là et déjà les gauches s’interrogent : comment désigner leur candidat unique en 2027 ?

Refus d’obtempérer

Treize personnes ont été tuées cette année par des tirs policiers alors qu’elles se trouvaient au volant ou sur le siège passager d’une voiture. Des homicides rangés médiatiquement derrière l’appellation «refus d’obtempérer». Le premier mort est Jean-Paul Benjamin, tué d’une balle, le 26 mars, alors qu’il conduisait une camionnette à la lisière des communes de Sevran et d’Aulnay-sous-Bois (Seine-Saint-Denis). L’enquête a permis d’établir que l’agent qui lui a tiré dessus ne se trouvait pas sur la trajectoire du véhicule mais sur le côté, seul, en civil et sans brassard. Il a été mis en examen, comme plusieurs autres policiers ces derniers mois, notamment celui qui a tué deux personnes sur le Pont-Neuf à Paris, le 24 avril. Face à l’accumulation de ces faits, trois chercheurs ont entrepris une étude statistique. Cette analyse révèle qu’il existe une corrélation entre l’adoption en 2017 d’une loi modifiant le code de sécurité intérieure (qui a assoupli le cadre légal de l’usage des armes des policiers) et cette flambée de tirs mortels. Cinq fois plus de personnes ont été tuées par des agents dans un véhicule depuis l’adoption de ce texte, voté sous la présidence Hollande.

Jets privés

5 septembre. Ils ont longtemps symbolisé luxe et rêve. Sièges profonds en cuir et meubles en bois précieux : pour la modique somme de 20 à 60 millions d’euros, vous pouvez vous offrir un avion d’affaires chez Falcon, Gulfstream ou Bombardier, qui, à eux trois, trustent le marché. La remise en question de ces appareils a débuté avec la publication de plusieurs rapports d’ONG, dont celui de Transport et environnement, établissant le caractère hautement polluant de ces jets, rapporté à chaque passager. La critique a pris une ampleur nationale avec le tweet du directeur général de SNCF Voyages le 5 septembre. Il s’étonne alors que le PSG, pour aller jouer à Nantes (à 2 heures en TGV) ne prenne pas le train mais un avion spécialement affrété. Le débat a d’ailleurs contraint le ministre des Transports à se positionner en faveur d’une «régulation». Les réseaux sociaux se sont enflammés : plusieurs comptes Twitter ont en effet été créés pour suivre à la trace le cheminement des avions de plusieurs personnalités du monde des affaires. Bernard Arnault, François Pinault, Vincent Bolloré en France mais aussi Elon Musk ou encore Jeff Bezos, le fondateur d’Amazon, aux Etats Unis. Un «flight tracking», à des années-lumière de la discrétion recherchée par les hommes d’affaires.