Des petites lunettes, des chemises à carreaux et une irrépressible envie de transmettre. Dominique Bernard est mort vendredi 13 octobre sur le seuil du lycée où il enseignait les lettres depuis une quinzaine d’années, à Arras, dont il était originaire. Tué à l’arme blanche par un homme qui a crié «Allah Akbar» au moment où il le frappait à terre. Et qui ne le visait pas, lui. Le suspect est un ancien élève du lycée, âgé de 20 ans et fiché S. Martin Doussau, son collègue de philo, a assisté à une partie de l’attaque. «Il s’est retourné soudainement, a crié “Vous êtes prof d’histoire-géo ?!” C’était entre l’interrogation et l’affirmation. Je me suis dit que c’était autre chose qu’un déséquilibré, qu’il y avait quelque chose de politique dans cette agression», a raconté l’homme en costume gris au visage émacié. L’attaque s’est déroulée presque trois ans jour pour jour après l’assassinat de Samuel Paty, un professeur d’histoire-géo décapité dans une attaque terroriste le 16 octobre 2020 près de son collège à Conflans-Saint-Honorine (Yvelines).
Dominique Bernard «n’avait jamais eu de passif, un quelconque différend avec cet élève. Pourquoi lui ? Il était au mauvais endroit, au mauvais moment», se désole Elisabeth Allain-Moreno, secrétaire générale du SE-Unsa. Il «s’est interposé d’abord et a sans doute sauvé lui-même beaucoup de vies», a salué Emmanuel Macron, présent sur les lieux.
Du genre à garder des liens
Agrégé de lettres modernes, Dominique Bernard avait 57 ans et avait fait toute sa carrière dans les Hauts-de-France, où il avait fondé l’Université populaire du Nord-Pas-de-Calais. Désormais en BTS à Lille, Elsa l’a eu comme prof au lycée et se souvient qu’il avait «toujours le sourire» : «On passait des récrés avec lui à blaguer, c’était un très bon prof. Ça me fait mal au cœur.» Dominique Bernard, c’était le genre de profs dont les élèves prennent des photos à la fin de l’année, pour se souvenir des cours. Le genre à garder des liens avec ses élèves une fois qu’ils prenaient leur envol et quittaient la cité scolaire. Le genre à multiplier les recommandations de bouquins à lire pour s’ouvrir l’esprit. Sur le site de l’Université populaire, où on trouve une photo de lui sans âge, on peut lire que, «parmi ses écrivains préférés, on compte Proust, Céline, Gracq, Simon, Michon, Rouaud. En cinéma, dans son top 3, il placerait Welles, Truffaut et Téchiné». Elsa, elle, se souvient avoir appris Heureux qui comme Ulysse de Brassens avec lui.
Devant l’établissement, Grégoire, aujourd’hui en CAP pâtisserie, parle d’une voix émue, mains posées sur les anses de son sac à dos. «Je ne l’ai jamais eu en cours, mais je l’ai souvent croisé dans les couloirs, raconte le gamin de 16 ans. J’ai l’image d un homme très sympa et très joyeux. Qui vivait sa vie, tranquillement.» Dominique Bernard était marié à une prof et père de trois enfants. «Toutes nos pensées vont à sa famille, à nos collègues et aux élèves sur place. Un professeur assassiné sur son lieu de travail, trois ans après celui de Samuel Paty, ça résonne particulièrement», indique Sophie Vénétitay, secrétaire générale du Snes-FSU, principal syndicat du secondaire.
«Quelqu’un de très impliqué»
David Verhaeghe, prof d’EPS, blessé et en «urgence relative» vendredi en même temps que le cuisinier de l’établissement et un agent d’accueil et d’entretien, est de la même trempe que son collègue de français. «Il était toujours très gentil», raconte Lenaïck. Actuellement en première, la jeune fille a eu David Verhaeghe trois ans de suite entre la 5e et la 3e : «Il nous parlait souvent. Ma mère et moi on le rencontrait dans des réunions parents professeurs. Il était investi et il voulait qu’on réussisse.» Devant le lycée, les élèves demandent des nouvelles de leur prof d’EPS. Tous décrivent un enseignant super investi. Mercredi, il participait à un raid, vélo et épreuves sportives, dans le cadre de l’Union nationale du sport scolaire. «Il était super sympathique, il allait jusqu’au bout de son engagement d’enseignant. La preuve, c’est qu’il était avec nous mercredi», témoigne au téléphone Evan, 18 ans, en deuxième année de BTS. Martin Doussau, le prof de philosophie, confirme : «C’est quelqu’un de très dynamique, très impliqué, présent dans l’amicale du lycée.»
Visiblement sous le choc et mélangeant présent et imparfait pour parler des vivants et du mort, Grégoire, l’ancien élève de la cité scolaire Carnot-Gambetta, s’écrie : «Il était trop génial.» Il avait croisé récemment celui qui était à la fois son prof d’EPS et son coach de handball jusqu’à l’an dernier et se dit qu’il faut lui envoyer un message de soutien. Un truc «bien senti. Je vais bien réfléchir à mes mots».
Mis à jour à 20h16 avec de nouveaux témoignages