«Se libérer de l’obligation alimentaire à l’égard d’un parent défaillant.» Tel est l’intitulé de la proposition de loi, refusée ce jeudi 23 octobre au Sénat, visant à ce que les enfants victimes de violences devenus adultes n’aient plus la charge de leurs parents âgés. Porté par le sénateur Renaissance Xavier Iacovelli, ce texte convoquait une réalité juridique méconnue mais dont souffrent nombre de victimes de maltraitance infantile.
Construite sur le principe de solidarité familiale, l’un des socles du droit civil français, «l’obligation alimentaire» s’inscrit parmi les «devoirs réciproques entre parents et descendants», prévus par code civil depuis 1804. Si la loi impose aux «époux» «l’obligation de nourrir, entretenir et élever leurs enfants», ces derniers «doivent», en contrepartie, «des aliments à leurs père et mère ou autres ascendants qui sont dans le besoin», souligne le législateur.
Cela peut se traduire de deux manières : par une contribution financière ou par une aide en nature. En pratique, cette aide est «dans une écrasante majorité» attribuée à l’amiable, «notamment pour prendre en charge les frais d’Ehpad», précise l’avis de la commission des lois.
«Double peine»
Certaines exceptions permettent de se soustraire à la mesure : la loi «bien vieillir» de 2024 prévoit déjà que la justice puisse dispenser de l’obligation alimentaire, mais seulement en cas de féminicide, d’infanticide ou pour les enfants qui ont été abandonnés pendant plus de trois ans. Un recours peut également être déposé devant le juge des affaires familiales, si les parents ont «manqué gravement à ses obligations» à son égard (violences, abandon de famille…), pour être dispensé totalement ou partiellement. Mais le parcours juridique est long et l’issue incertaine.
Pour les enfants victimes de violences, «l’obligation familiale» est «une double peine», souligne Xavier Iacovelli dans sa proposition de loi : «après avoir grandi sans le soutien, l’amour ou la protection auxquels ils avaient droit, ils se voient contraints, une fois adultes, de subvenir aux besoins d’un parent avec lequel ils n’ont parfois plus aucun lien». Le texte prévoyait d’instaurer la possibilité pour chaque personne majeure de pouvoir se défaire de cette obligation avant ses 30 ans, sans avoir besoin de motiver sa décision.
Décryptage
Mais après un premier rejet en commission le 15 octobre, la proposition de loi a de nouveau été retoquée ce jeudi dans l’hémicycle du Sénat. La chambre haute, à majorité de droite, n’a pas voté en scrutin public : les sénateurs ont fait tomber le texte en supprimant un à un les articles. Si le ministre de la Justice, Gérald Darmanin, a assuré le total soutien du gouvernement à cette législation pour «tous les enfants que la justice ne reconnaît pas comme victime à temps», les opposants au texte ont pointé «des lacunes juridiques».
«Cela ne comblerait pas un vide juridique, car il est déjà possible de se décharger de l’obligation alimentaire en saisissant le juge des affaires familiales», a estimé Marie Mercier, sénatrice Les Républicains, faisant allusion à certaines dispositions exceptionnelles déjà prévues par la loi. Sa consœur Catherine Di Folco, aussi issue du parti LR, a déclaré y voir une porte ouverte à de potentielles utilisations pernicieuses : «Le texte présenté permettrait à chaque débiteur de se retirer des obligations sans avoir à prouver le préjudice qu’il aurait subi.»
«La parole des enfants est trop souvent ignorée»
«Ce refus aujourd’hui est le signe qu’on se bat pour les bonnes raisons. La parole des enfants est trop souvent ignorée. On le voit aujourd’hui : même pour des adultes, il semble impossible de faire entendre ce qu’on a vécu dans l’enfance», regrette auprès de Libération Alicia Ambroise, cofondatrice du collectif les Liens en sang – qui a travaillé avec Xavier Iacovelli dans le cadre du projet de loi – et milite pour la suspension de «l’obligation familiale». Ce combat s’inscrit dans son histoire personnelle : la jeune femme a «complètement coupé les ponts» avec celui qu’elle appelle désormais «son géniteur», condamné à dix ans de prison pour avoir violé la fille de son ex-femme, sa demi-sœur. Elle estime avoir été «une victime collatérale» de ces actes. Aujourd’hui, seules 20 % des victimes d’inceste dans l’enfance s’adressent à la justice, pour 1 % de condamnés.
Dans l’entourage de Xavier Iacovelli, on déplore auprès de Libé le fait que «la navette parlementaire soit complètement coupée» : n’ayant pas fait l’objet d’un vote public au Sénat, la proposition ne pourra pas être débattue à l’Assemblée nationale. Un moyen pour faire à nouveau exister le sujet «serait de réécrire complètement une proposition de loi». Ou de se «tourner vers le gouvernement», un recours plausible étant donné le soutien apporté par Gérald Darmanin au texte.