Face à la hausse des conflits relatifs au climat scolaire, il est urgent de «prendre en compte la vulnérabilité des personnels» de l’éducation nationale. Voilà l’une des principales conclusions du rapport «Faire alliance, redonner confiance» de la médiatrice de l’éducation nationale et de l’enseignement supérieur publié ce mercredi 17 juillet. L’instance créée en 1998 peut être saisie tant par les usagers (parents d’élève, élèves, étudiants) que par les personnels, et a pour rôle d’aider à la résolution de litiges par la voie extrajudiciaire. En 2023, la médiatrice nationale, Catherine Becchetti-Bizot, épaulée par 87 médiateurs académiques, a traité 20 400 saisines, un nombre en augmentation de 12 % en un an, et de 6 % en 2022.
En cinq ans, le nombre de saisines a bondi de 42 %, signe d’une «montée en visibilité de la médiation», mais aussi, dans un «contexte sociétal qui s’est considérablement tendu ces dernières années», du besoin des personnels et des usagers d’être écoutés. Dans 79 % des cas, il s’agit de réclamations à l’encontre d’une décision administrative ou hiérarchique (77 % émanant des usagers, 23 % des personnels). 19 % relèvent de demandes d’informations, d’écoute ou de conseils. Face aux «difficultés liées à la dégradation du climat scolaire, à l’augmentation des incivilités et des violences», les enseignants expriment un «besoin croissant de protection et de réassurance».
«Pas reconnus dans leur travail»
Les personnels rapportent «une forme d’épuisement, liée à l’effort constant qu’[ils] ont dû fournir depuis plusieurs années pour s’adapter aux crises diverses, aux réformes et aux transformations de leur environnement de travail», constate le rapport. Assassinats tragiques des professeurs Samuel Paty et Dominique Bernard, pandémie de Covid-19, turn-over incessant au ministère de l’Education nationale… Les syndicats de l’éducation alertent depuis des années sur l’usure des personnels, laquelle a connu un pic en 2023-2024. En 2023, 539 saisines formulées auprès des médiateurs font ainsi part d’une souffrance au travail ou d’un mal-être. Soit 13 % de l’ensemble des sollicitations des personnels, un chiffre en augmentation de 78 % depuis cinq ans.
A lire aussi
Si Catherine Becchetti-Bizot rappelle que de telles données sont à mettre en perspective avec le nombre total de personnels de l’éducation nationale (quelque 1,2 million), elle assure à Libération constater chez eux «une demande croissante d’être davantage considérés». «Le système éducatif étant frappé de plein fouet par des problématiques sociétales (laïcité, harcèlement…), les personnels, qui doivent à présent s’occuper d’enseignements [sur ces sujets] en plus de leur mission première, voient leurs responsabilités s’alourdir. Ils ne se sentent pas reconnus dans leur travail, déclassés, dévalorisés», explique la médiatrice, qui évoque en outre les «injonctions contradictoires» subies par les chefs d’établissements, confrontés à la fois à aux règles de l’institution et aux demandes des familles. Les saisines des élèves et des parents d’élèves concernant le domaine de l’enseignement et de la vie des établissements sont en effet «en forte hausse» (+19 % en un an, +118 % en cinq ans).
Agressivité, contestations des enseignements
«C’est comme si les familles se méfiaient désormais de l’école : la plupart des familles [ayant saisi l’instance] veulent des explications sur le contenu des enseignements, remettent en cause la liberté pédagogique, négocient les notes de leurs enfants… Ce qui, pour les équipes, est extrêmement difficile», analyse Catherine Becchetti-Bizot. Elle identifie trois sujets de crispation : un accroissement de l’agressivité entre l’école et les familles, qu’elle soit verbale ou physique, des contestations «portant sur la nature et le fondement même des enseignements» et enfin les «problématiques liées aux difficultés de mise en œuvre de l’école inclusive» pour les élèves en situation de handicap.
Les équipes, et notamment les enseignants, «se disent impuissants en particulier à faire face à des élèves présentant des troubles du comportement qu’ils ne savent ni interpréter, ni gérer seuls et qui nécessitent, pour une prise en charge adaptée, des moyens, des compétences et une formation spécifiques», peut-on lire dans le rapport. D’où plusieurs recommandations formulées par la médiatrice, qui appelle notamment à «la mise en place progressive d’un référent handicap dans chaque établissement» ou encore à «renforcer la formation spécifique de tous les professionnels».
De façon plus générale, pour apaiser les tensions, le rapport plaide pour davantage de clarté et de transparence dans les procédures décisionnelles. Et notamment pour les examens qui, en raison de leur complexité (calendrier, inscriptions…), sont «parfois source d’incompréhensions ou d’erreurs», au détriment de «l’égalité des chances de réussite» entre les élèves. Ce qui, par ricochet, tend à alimenter la contestation des notes, et a fortiori les conflits entre les familles, les élèves ou étudiants et les personnels… «Clarifier, simplifier et assouplir l’application des règles en matière d’examens» : voilà qui serait souhaitable selon la médiatrice, qui note enfin un troisième sujet saillant : «la persistance de freins administratifs à la mobilité internationale des étudiants»… Laquelle est «pourtant encouragée au plus haut niveau de l’Etat».