Cela fait maintenant deux semaines que les établissements scolaires ont fermé à Nouméa. «Nous n’avons pas de contact avec nos élèves depuis. Personne n’a la tête à faire cours à distance, raconte Sébastien Dibos, professeur de mathématiques dans la capitale de l’archipel et représentant du syndicat Snes en Nouvelle-Calédonie. Nous savons que certains sont des deux côtés des barricades», côté indépendantistes ou loyalistes.
Les collèges et lycées, qui dépendent de l’Etat français, doivent rouvrir le 17 juin, à condition que la situation s’améliore. Durant cinq semaines, dont deux semaines de vacances scolaires, prévues initialement, les quelque 28 000 élèves du secondaire n’auront pas cours. Un temps d’arrêt qui inquiète Sébastien Dibos, installé dans l’archipel depuis plus de trente ans. «On ne sait pas combien d’élèves et de professeurs nous aurons le 17 juin, car beaucoup songent à partir en métropole. Pour ceux qui resteront, il faudra préparer cette rentrée, leur permettre de discuter, de retrouver la paix.» Une réunion avec le rectorat est prévue mardi 28 mai. «Nous allons demander d’alléger les programmes et d’adapter les examens, notamment ceux du bac en décembre.»
«On tente de garder le contact»
En dehors de Nouméa, certains établissements scolaires sont restés ouverts jusqu’au 19 mai, jour de l’annonce de la suspension des cours en collèges et lycées pour l’ensemble de l’archipel en crise, dans la foulée de l’instauration de l’état d’urgence, levé ce lundi soir. Marie (1) et Tom (1) habitent dans la province nord de Nouvelle-Calédonie, lui depuis trente ans, elle depuis sept ans. Tous deux sont enseignants au collège et au lycée. Les établissements dans lesquels ils enseignent ont fermé peu après le début de la crise. Marie regrette la décision du gouvernement : «On n’a pas pu discuter avec les élèves des enjeux autour des émeutes. Certains sont rentrés dans leur famille, possiblement se sont retrouvés sur des barrages sans comprendre d’où venait le conflit.» Là où le couple habite, la situation est «plutôt calme» et la vie en communauté continue. Malgré tout, Marie reste sur ses gardes : «On ne sait pas si ça restera comme ça, il faut être vigilant. On vit au jour le jour.»
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Leur fils est en école primaire. Les écoles primaires, où sont scolarisées plus de 30 000 enfants, sont gérées par les provinces en Nouvelle-Calédonie. Dans la province nord, elles ont fermé environ une semaine après le 13 mai, principalement pour des questions logistiques. «Les cars scolaires consommaient les stocks de carburant. Pareil pour les cafétérias qui ne pouvaient pas être réapprovisionnées.»
Actuellement, les deux enseignants tentent de faire cours à distance. «On nous a dit de garder le contact avec les élèves, explique la trentenaire. On tente de le faire, mais la situation est compliquée.» Comme Sébastien Dibos, Marie s’interroge sur le retour des élèves à l’école. Elle espère que des discussions auront lieu pour expliquer ce qui a mené à cet embrasement. «J’ai peur qu’il n’y ait rien de tout ça et qu’on essaye d’effacer l’événement. Ce serait une erreur.»
Système scolaire «schizophrénique»
Amaïs (1), professeure de lettres de 61 ans dans un collège privé des îles Loyauté, a déjà anticipé la reprise. «On a prévu d’en discuter entre nous, pour que tout le monde puisse dire ce qu’il a sur le cœur. Après, nous allons accueillir les élèves, faire un temps de discussion. Avec le plus de neutralité possible, on va expliquer la situation aux collégiens.»
Dans cet établissement, où enseignent «des professeurs kanak, caldoches, européens», une grande partie des élèves sont kanak et vivent dans des tribus. Pour leur permettre de ne pas décrocher, les professeurs vont mettre en place à partir de cette semaine un système de classeurs, contenant des exercices en tout genre, distribués à domicile. Ils seront ensuite ramassés et corrigés. «Ces deux dernières semaines, on a travaillé avec Pronote [un logiciel de gestion de vie scolaire, ndlr]. Le problème, c’est que tous les élèves n’ont pas internet et que Pronote ne permet pas de vérifier si le travail a été fait.»
Selon Amaïs, née en Nouvelle-Calédonie et kanak, le système scolaire actuel est «schizophrénique» pour les élèves membres de tribus. «A l’école, on t’explique que tu peux parler, même en tant qu’enfant. Chez toi, on te dit de te taire parce que tu es trop jeune. A l’école, on affirme que tu es un individu, à la maison, on te répète que tu fais partie d’un clan et que tu n’es pas un individu. Pour se construire, c’est compliqué, estime la professeure. En tant qu’enseignant, on suit le programme national, mais on le voit, les élèves sont perdus. Sauf que cela reste un tabou, personne n’en parle, et après les gens disent “on n’a rien vu venir”.»
(1) Les prénoms ont été modifiés.